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Soutenir les démocraties sous pression

Discours d’ouverture prononcé à la table ronde « Le Sommet pour la démocratie : une interprétation transatlantique » (The Summit for Democracy: A Transatlantic Readout), organisée par les sections de Paris et de Washington du German Marshall Fund

Tenue virtuellement à Paris, en France
Le 14 décembre 2021

Madame de Hoop Scheffer, directrice du bureau de Paris du German Marshall Fund,
Monsieur Lafont-Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de France,
Madame Thornton, directrice et chercheuse principale, Alliance for Securing Democracy, German Marshall Fund,

Mesdames et Messieurs,

Dans leur concurrence avec les régimes autoritaires, ainsi que dans leurs efforts pour contrer les tendances antilibérales chez elles, les démocraties peinent à établir une stratégie concertée. Elles doivent faire front commun et renforcer une coopération pragmatique, cohérente et inébranlable. C’est pourquoi le Canada a participé activement au Sommet pour la démocratie, organisé par les États-Unis les 9 et 10 décembre.

Dans un monde qui n’est pas binaire, où il existe toutes sortes de zones grises entre les démocraties bien établies et les régimes autoritaires, il était inévitable que la liste des pays invités à ce sommet suscite beaucoup d’attention de la part du public. Toutefois personne ne peut contester qu’une coordination supplémentaire entre démocrates est une nécessité urgente.

Les démocraties doivent renforcer leur cohésion et agir de concert, comme beaucoup l’ont fait en signant la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d’État à État, présentée par le Canada, en se joignant à la Coalition pour la liberté des médias, que le Canada copréside, et à la Coalition pour la liberté en ligne, que le Canada présidera en 2022, ou par l’intermédiaire du Mécanisme de réponse rapide du G7, que le Canada dirige.

La nécessité d’une meilleure action commune est évidente lorsqu’il s’agit de sanctionner les violations des droits de la personne, de lutter contre l’impunité, de demander des comptes aux fautifs corrompus et de dénoncer les cyberactivités malveillantes menées par des acteurs autoritaires. Le Canada sait très bien que le fait d’être seul à sanctionner un régime qui a violé les droits de la personne ou qui a menacé ses voisins aura peu d’effet. Pour avoir une possibilité d’endiguer les mauvais comportements des transgresseurs étatiques et non étatiques, les démocrates doivent intervenir ensemble.

Dans le même ordre d’idées, le Canada est convaincu que sa politique étrangère féministe sera plus efficace lorsque de nombreux États démocratiques mettront l’égalité des genres, l’inclusion et le respect de la diversité au centre de leurs activités internationales.

Et si le premier ministre Trudeau a annoncé au Sommet pour la démocratie un soutien accru aux missions internationales d’observation des élections, c’est parce que le Canada sait que ces missions internationales font partie d’un effort concerté efficace pour soutenir des élections libres, équitables et inclusives et, de façon plus générale, des sociétés démocratiques.  

S’il y a un domaine d’action en particulier qui exigera une meilleure collaboration, et sur lequel le premier ministre Trudeau a insisté pendant le Sommet pour la démocratie, c’est la nécessité d’accroître le soutien aux démocraties fragiles et émergentes, aux pays et aux gouvernements qui s’efforcent, contre vents et marées, de maintenir la démocratie en vie, dans des conditions que les habitants des démocraties bien établies ne peuvent même pas imaginer. Nous devons mieux encourager ces « bons acteurs ».

Certes, ce que font ces démocrates courageux est loin d’être parfait, mais ce serait une erreur de les regarder de haut. Il faut prendre en compte l’histoire du pays, le poids de son passé autoritaire et de ses traditions, le faible enracinement des institutions et des valeurs démocratiques, la situation économique précaire, ou encore son isolement géographique dans des régions souvent aux prises avec l’instabilité et l’autoritarisme. Nous devons également prendre en considération et soutenir la société civile, les défenseurs des droits de la personne et tous ceux et celles qui, sur le terrain, continuent de travailler à la mise en œuvre des valeurs et des principes démocratiques. 

Les démocraties bien ancrées devraient regarder une carte du monde, repérer les démocraties sous pression et examiner comment elles peuvent les soutenir efficacement au milieu des tempêtes et des troubles, tout en comprenant que ces démocraties tentent de persévérer dans des conditions extrêmement difficiles.

Une action renforcée sur ce front est d’autant plus nécessaire que les contractions économiques, causées par la COVID-19, continuent d’aggraver l’instabilité des démocraties fragiles.

Un autre facteur aggravant qui justifie un soutien accru à ces démocraties fragiles et émergentes est la détérioration alarmante des écosystèmes qui sont essentiels à la vie. Les spécialistes des enjeux militaires et du climat avertissent que les perturbations environnementales graves et croissantes, intensifiées par les changements climatiques d’origine humaine, sont un facteur d’amplification des conflits, de l’instabilité et de la migration irrégulière.

C’est dans cet esprit que mon gouvernement m’a demandé, en tant qu’envoyé spécial du premier ministre Trudeau en Europe, de rendre compte de la façon dont le Canada, avec ses alliés, pourrait mieux soutenir la démocratie arménienne.

Pourquoi la démocratie en Arménie ? Consultez les indices d’organismes internationaux renommés : Freedom House, l’indice de démocratie de l’Economist, Transparency International, International IDEA, les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale, etc. Ils placent tous l’Arménie parmi les pays qui ont le plus progressé vers une démocratie accrue au cours des dernières années. L’Arménie est, à l’heure actuelle, l’archétype de la démocratie soumise à une pression intense, qui s’efforce de s’améliorer et qui, par conséquent, mérite notre soutien à part entière.

Pour conclure, je voudrais injecter une dose d’optimisme prudent. La réalité est que la démocratie a été une exception trop rare dans l’histoire et nous ne devrions donc pas être surpris que ces progrès se heurtent à un adversaire redoutable, l’autoritarisme.

Mais il n’y a pas que des mauvaises nouvelles. Si les citoyens remettent parfois en question la capacité des gouvernements démocratiques à tenir leurs promesses, la demande de liberté, de démocratie et de droits de la personne reste souvent forte. Les mouvements prodémocratiques bravent la répression. Certains États démocratiques font preuve d’une résilience admirable. Il faudra des efforts résolus et durables pour les soutenir et inverser les tendances à la régression.

Dans cette lutte, le Canada a un rôle important à jouer, celui d’améliorer la démocratie chez lui et d’agir de concert avec les autres démocraties du monde de la façon la plus efficace possible.

Stéphane Dion
Ambassadeur du Canada en Allemagne et envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe

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