Transcription – Épisode 15 : Entretien avec Rasha Al-Katta

David Morrison: Rasha Al-Katta est une jeune femme extraordinaire. Elle est arrivée au Canada à la fin des années 1990 en tant que réfugiée du Yémen et parlait seulement l’arabe. Depuis, elle a appris l’anglais et le français, a été stagiaire à la mission du Canada auprès des Nations Unies à Genève, a fait une affectation temporaire à la mission du Canada auprès des Nations Unies à New York, et a travaillé sur des dossiers de communications, de développement et de politique étrangère ici à Ottawa. Rasha, qui n’a pas encore 30 ans, fait preuve d'un engagement extraordinaire  envers la communauté et le service public, ce qui fait d’elle l’une des plus jeunes récipiendaires de la Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II. Rasha était de passage récemment aux Dossiers d’AMC dans le cadre d’une entrevue où elle nous a communiqué son expérience et sa sagesse.

Rasha Al-Katta, merci d’être venue. Tu es vraiment formidable. Si j’ai bien raison, tu t’es jointe au Ministère en 2012, tu es récipiendaire de plusieurs prix et depuis, tu es véritablement engagée envers le service communautaire, tu as gravi le mont Kilimandjaro, tu es l’une des plus jeunes personnes à avoir reçu la Médaille du jubilé de diamant de la reine pour ton apport au Canada, tu es affiliée au Forum économique mondiale, tu produis une baladodiffusion en compétition avec Dossiers d’AMC et tu n’as pas encore 30 ans. Cela va paraître extraordinaire pour plusieurs auditeurs des Dossiers d’AMC, et je suis tenté de plonger dans tes nombreuses réalisations et ton rôle ici au Ministère, mais commençons par le début, qui est en soi une histoire incroyable. Tu es arrivée ici lorsque tu étais enfant, une réfugiée du Yémen. Dis-nous comment cela a commencé.

Rasha Al-Katta: Tout d’abord, merci beaucoup de m’accueillir, c’est un grand honneur d’être ici. Je suis vraiment reconnaissante et privilégiée d’être ici et d’avoir cette conversation. Alors oui, ma famille est arrivée en tant que réfugiée du Yémen en 1997. Et vous savez, j’ai passé une bonne partie de ma vie dans des logements sociaux. Et pourtant…

David Morrison: Ici à Ottawa?

Rasha Al-Katta: Ici à Ottawa, et nous avons déménagé dans plusieurs quartiers différents de logements sociaux partout dans la ville. Je suis l’aînée de six enfants, ce qui est parfois difficile. Mais oui, je suis vraiment reconnaissante d’avoir la chance de vivre une étape de ma vie ici et d’être dans un monde qui présente tant de opportunités.

David Morrison: Comment s’est effectuée la transition du Yémen à Ottawa? Était-ce via le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ou… dis-nous-en davantage. La migration et les réfugiés sont d’actualité en ce moment.

Rasha Al-Katta: Donc, j’avais six ans à l’époque, alors je ne me souviens que de certaines choses, en grandissant et en entendant l’histoire de mes parents et de ce périple. Il n’y avait pas d’ambassade du Canada au Yémen, alors nous avons vécu en Syrie pendant quatre mois, et c’est grâce à l’aide du HCR et [d’autres] organisations que nous avons pu venir au Canada. Mais je me souviens de ma mère qui racontait comment elle a dû attendre par moment devant l’édifice des Nations Unies afin que quelqu’un s’intéresse à notre dossier, parce que cela faisait un mois, deux mois, trois mois et quatre mois, et elle avait trois jeunes enfants à l’époque et aucune source de revenus, alors c’était difficile de… d’attendre de venir au Canada. Alors…  

David Morrison: D’accord. Et une fois arrivés au Canada, tes parents ont évidemment eu trois autres enfants. Ont-ils été capables de trouver du travail?

Rasha Al-Katta: C’est intéressant que vous le mentionniez, puisque je crois que c’était l’un des plus grands défis. Mes parents avaient une carrière bien établie au Yémen, et ils sont arrivés ici, mais ils avaient trois enfants à nourrir. Alors mon père a commencé à travailler dans une pizzeria, ensuite en tant que chauffeur de taxi pour Blue Line, et c’est ce qu’il fait encore aujourd’hui, puisqu’il faut  bien joindre les deux bouts…  

David Morrison: D’accord.

Rasha Al-Katta: Et vous savez, je suis vraiment reconnaissante envers eux parce qu’ils se sont sacrifiés toute leur vie, afin que je puisse m’accomplir et avoir une carrière et des opportunités.  

David Morrison: Donc, tu es l’aînée de six enfants.

Rasha Al-Katta: Oui.

David Morrison: Je ne fais que supposer, mais tu commençais l’école ou tu y étais probablement déjà. Parle-nous de ton arrivée du Yémen en tant que réfugiée et du fait de te retrouver dans le système scolaire canadien. Tu as beaucoup déménagé, donc tu as changé d’école?

Rasha Al-Katta: Oui, j’ai changé d’école, et je plaisante aujourd’hui, étant l’aînée de six enfants, nous sommes assez pour former une équipe de volleyball, alors c’est pratique. Mais nous avons changé d’école et de quartier, déménagé d’un type de quartier de logements sociaux pour un autre. Mais en grandissant, il n’y avait pas beaucoup de gens qui me ressemblaient, qui parlaient comme moi, qui avaient une éducation similaire et des modèles que je pouvais admirer. Maintenant, je me souviens, dans une école maternelle où j’allais, j’avais rencontré quelqu’un à qui j’essayais de parler, mais je ne parlais que l’arabe. Et le pauvre enfant ne comprenait pas alors que j’essayais de dire : « Est-ce que je peux emprunter ton crayon rouge? »

 David Morrison: Je vois.

Rasha Al-Katta: Mais je crois que c’est quelque chose qui m’a vraiment donné une perspective sur la valeur de l’inclusion. Et je le remarque, j’ai eu la chance de travailler avec certains réfugiés syriens, qui sont arrivés grâce au soutien qu’ils ont reçu de la communauté. Nous avions des interprètes arabes qui m’ont accompagné lors de rendez-vous. La plupart d’entre eux n’ont pas eu besoin de commencer dans des logements sociaux ou des refuges et ont été capables d’obtenir un excellent logement dans un bon quartier. En voyant cela, ce genre de contraste, j’ai été vraiment heureuse de voir que c’est ce que nous offrons maintenant aux réfugiés qui arrivent au Canada.

David Morrison: Maintenant, oui. Il y a 20 ans, peut-être que les communautés n’étaient pas aussi bien organisées. Lorsque tu dis que tu te sentais différente et semblais différente, je suis assis en face de toi, tu portes un voile, que je pense que tu portes tous les jours. Je ne… raconte-nous ce que c’est d’être une femme musulmane d’un point de vue identitaire, le fait de porter le voile, et lorsque tu as commencé, comment cela a-t-il projeté ton identité et les réactions face à cela?  

Rasha Al-Katta: Je le compare à l’équivalent de porter l’épinglette du Canada, dans le sens que pour moi, cela fait partie de ma foi. Et chaque jour je le porte, je me rends au travail et c’est un rappel des valeurs que je dois défendre, comme le respect, la gentillesse, la compassion, le service. Alors…

David Morrison: Est-ce que pour toi c’est religieux, culturel ou un mélange des deux?

Rasha Al-Katta: Pour moi, c’est religieux, mais également culturel dans le sens que ma mère le porte, plusieurs membres de la communauté yéménite le portent. Mais ce n’est pas vraiment mon motif prédominant. C’est surtout pour me connecter avec la foi et les valeurs, pour m’ancrer dans quelque chose qui me guide dans la vie, et pour contribuer de façon positive à la vie au Canada.

David Morrison: Les adolescents se heurtent à des questions d’identité. C’est une étape où plusieurs d’entre nous essayent des identités différentes et essayent de comprendre qui nous sommes et qui nous voulons devenir. Parle-moi un peu des aspects de ton identité, que nous venons d’évoquer, au cours de tes années d’école secondaire. Es-tu simplement passée au travers ou avais-tu des questionnements?

Rasha Al-Katta: Je crois qu’en tant qu’être humain, nous grandissons et nous sommes confrontés à certaines situations ou certaines opportunités de vie qui nous amènent à nous interroger sur notre identité, ou qui défient notre identité ou nous portent à réfléchir sur celle-ci. Alors, je ne crois pas qu’une personne puisse dire qu’à un certain moment, elle avait complètement déterminé son identité. Surtout à l’école secondaire, c’est une période de changement et comme vous le dites, le temps de faire face à diverses situations, et tout le monde essaye de comprendre qui il est. Et c’était difficile. À l’école secondaire que je fréquentais, il y avait, je crois, peut-être cinq membres des minorités visibles dans ma classe de 300 finissants. Encore une fois, il n’y avait pas beaucoup de modèles à suivre et il n’y avait pas beaucoup de gens à qui l’on pouvait s’identifier.

Mais ce qui est formidable, c’est que les gens sont véritablement fantastiques, et vous le constatez lorsque vous prenez le temps de communiquer avec eux. Par moment, il y a de bonnes journées où les gens viennent me poser une question, et c’est un bon début de conversation. Et lors d’une mauvaise journée, je suis simplement polie et je hoche de la tête et je dis « c’était bien de parler avec vous ». Je passe à autre chose. Alors cela dépend du moment, mais au secondaire, j’ai été vraiment chanceuse de trouver un groupe d’amis merveilleux, solidaires et inclusifs, qui étaient tout simplement de bonnes personnes.

David Morrison: Nous n’aurons pas le temps, mais je suis tenté de te poser des questions sur tes frères et sœurs. Tu me sembles sûre de toi et confiante par rapport à qui tu es et de ta place dans le monde. Je me demande si, seulement pour dire que ce n’est pas facile de se faire valoir pour plusieurs d’entre nous. Et tu as… tu as choisi et sembles confiante dans tes choix. Ce qui est évidemment fantastique.

Rasha Al-Katta: Merci, c’est un grand éloge venant de toi. J’en suis vraiment reconnaissante, merci.

David Morrison: Mais passons à la façon dont tu as fait le pont entre l’école secondaire et le collège ou l’université, et puis le Ministère. Quelque part en chemin, tu as fait un stage à notre mission à Genève.

Rasha Al-Katta: Oui. C’est drôle parce que j’ai commencé en travail social lors de ma première année de baccalauréat. Je n’avais aucune idée de ce qu’était le domaine des relations internationales, du développement international ou de la politique étrangère, ou de tout cela. J’étais concentrée à essayer d’entrer dans un domaine où je pouvais apporter des résultats concrets, où je pouvais me concentrer sur le « nous ». Et ce n’est qu’après qu’un ami m’ait parlé du domaine du développement international que j’ai fait des recherches sur les cours, que je me suis renseignée, que j’ai regardé les programmes, que j’ai écrit aux professeurs pour obtenir la liste des cours et des textes à lire... Je voulais… je voulais avoir une idée de ce que c’était. Et je suis tombé en amour… J’ai tenté ma chance. J’ai postulé, j’ai dû transférer de programme et d’université et j’ai eu de la chance que le programme comprenne le régime coop.

David Morrison: Alors tu es à l’Université d’Ottawa?

Rasha Al-Katta: J’étais à Carleton et j’ai changé pour l’Université d’Ottawa. J’ai été chanceuse parce qu’il y avait un programme coop, que j’encourage fortement parce qu’il ouvre la voie. Je ne connaissais pas Affaires mondiales Canada. Je ne connaissais pas le genre de travail qu’on pouvait y faire et lors de ma première expérience coopérative ici en 2012, ce fut le coup de foudre et…

David Morrison: Qu’est-ce que c’était, où étais-tu, que faisais-tu?

Rasha Al-Katta: Donc, c’était avec la Direction des institutions de la politique de développement, mieux connue sous le nom de MEP. Et c’était, j’ai eu un excellent… excellent superviseur et de bons mentors.

David Morrison: Alors c’était avant la fusion?

Rasha Al-Katta: Oui, c’était avant la fusion, donc c’était du côté du MAECD. Mais c’était une véritable chance d’obtenir une idée du travail qui se faisait ici, et j’étais censée y rester que quatre mois, je l’ai prolongé de… d’un autre quatre mois. J’y suis restée pendant huit mois et je suis revenue pour un autre quatre mois. J’ai donc passé une année avec cette équipe et depuis, j’ai obtenu différents postes au sein du Ministère et j’ai eu la chance d’avoir une idée du travail quotidien qui se fait ici.  

David Morrison: Le stage à Genève, faisait-il partie de ton stage coop ou tu l’as choisi toi-même?

Rasha Al-Katta: Je me rendais déjà à Genève pour mon dernier semestre du baccalauréat et je me suis dit que ce serait une excellente occasion d’acquérir de l’expérience en travaillant dans un cadre multilatéral. Et quel meilleur endroit qu’à la mission du Canada auprès de l’ONU. Donc, je discutais avec mon superviseur à ce moment-là et elle m’a dit : « Je connais quelques personnes là-bas, je vais transmettre ton CV et nous verrons s’il y a des postes ouverts. » Je me suis dit: « D’accord, merci. » Mais aussi, c’est vraiment, vraiment gentil et une bonne façon de voir les occasions qui ne seraient pas nécessairement affichées ou dont on ne ferait pas la promotion à grande échelle. J’ai ainsi décroché un stage, ce n’était pas rémunéré, mais j’ai eu un stage à temps partiel.

David Morrison: Oui, il y a un thème commun à ces stages.

Rasha Al-Katta: Il y a un thème et vous savez, si nous pouvons offrir du support aux stagiaires, alors je suis en faveur. Mais ce n’était pas rémunéré et j’ai eu la chance de travailler à temps partiel.  Je faisais donc des cours lors de mon dernier semestre de baccalauréat et mon stage les mercredis, jeudis et vendredis. Et ce fut l’une des expériences les plus mémorables de ma vie. J’ai dû me nourrir de muesli et de carottes tous les jours en raison de contraintes budgétaires. Mais la richesse des connaissances que j’ai acquises en valait largement la peine.

David Morrison: Et ensuite tu… tu m’as dit plus tôt que tu as fait toutes sortes de choses au Ministère et que tu as obtenu probablement tous les types de contrats que nous offrons. Tu as décroché un poste indéterminé convoité en 2016, je crois, lorsque tu as remporté un concours EC-04. Comment cela a-t-il changé ta vision de… de cet endroit, sur ton parcours professionnel? J’ai parlé à de nombreux milléniaux par rapport à leurs aspirations, à leur capacité à gérer l’incertitude autour de la réalité récente dans ce ministère, selon laquelle nous ne pouvons offrir des contrats à long terme. Tu as donc passé ce seuil. Parle-nous de comment tu t’es sentie et comment cela a changé tes plans de carrière. Si ce fut le cas.

Rasha Al-Katta: C’est amusant parce qu’en effet, j’ai l’impression d’avoir obtenu tous les types de contrats, du Programme fédéral d’expérience de travail étudiant à occasionnel, en passant par terme et coop. Alors si quelqu’un à des questions, je suis toujours libre et heureuse d’y répondre. Mais ce n’est pas avant que le concours EC-04 ait été ouvert par chance en 2015 que je me suis dit, OK, peut-être qu’il y a une possibilité d’avoir une carrière à long terme, parce que nous entendons dire que c’est très difficile d’obtenir un poste indéterminé ici et qu’il faut regarder ailleurs, mais j’ai toujours su que c’est un endroit où j’aime travailler et que même en passant de contrat à contrat, c’était incertain. Mais le monde l’est aussi, tout comme le domaine dans lequel nous travaillons, de même que les dossiers sur lesquels on se penche. Alors je pense que les gens sont parfois attirés par ce ministère par esprit d’aventure et d’incertitude. Mais je suis reconnaissante d’avoir un poste indéterminé maintenant, parce que je peux penser à long terme et j’ai une stabilité financière que mes parents n’ont jamais eue. Ils sont très reconnaissants et je suis très reconnaissante et en même temps, je suis aussi consciente du fait que nous devons faire un plus grand effort pour garder les gens ici à long terme. Et pour les aider à stabiliser leur carrière et à voir comment ils peuvent apporter une grande contribution au lieu de passer d’un emploi à l’autre, en voyant les impacts. En renversant cet état d’esprit, il faut en effet un peu de sécurité d’emploi. Je pense donc que ma perspective a vraiment changé, maintenant je me demande comment je peux apporter le plus de valeur ajoutée. Quels sont les outils dont j’ai besoin dans ma boîte à outils? Je peux me concentrer à améliorer mes points faibles au lieu de me préoccuper à me trouver un autre emploi. Je dois payer des factures.

David Morrison: Quel est le prochain?

Rasha Al-Katta: C’est un défi, mais je suis entièrement reconnaissante.

David Morrison: Alors c’est une bonne… bonne façon de… pour certaines questions que je veux te poser. Tu as plusieurs identités; tu es une minorité visible, une femme, et aussi une enfant du millénaire. Je disais récemment que dans la haute direction, nous disons toujours : « Oh, qu’est-ce que les milléniaux penseraient de cela? » Alors… alors, parle-nous un peu de ton point de vue en tant que jeune personne dans ce ministère et de la perception des milléniaux selon laquelle tout leur est dû. Dis-nous ce que tu en penses.

Rasha Al-Katta: Je pense qu’il y a une réelle diversité dans la perspective des milléniaux. Mais ce que je peux vous dire, c’est que les milléniaux que je connais sont passionnés, attentionnés, et ils veulent améliorer, changer et remettre en question la façon dont les choses ont toujours été faites, afin de mettre l’attention sur ce qu’il y a de mieux. Pas remettre en question juste pour le plaisir, mais comment est-ce nous pouvons le faire de façon plus efficace. Ils aiment donc se concentrer sur le pourquoi et aiment remettre en question les façons de faire, afin que nous puissions avoir un grand impact sur le quoi. Et ça, ce sont les milléniaux que je connais.

Donc, étant une jeune personne dans la fonction publique, je pense qu’un aspect pour lequel je suis reconnaissante, et j’encourage ceux dans des rôles de gestionnaires et de superviseurs, est de prendre un jeune sous leur aile, et de lui faire confiance avec des dossiers difficiles, afin de lui donner l’occasion d’être à l’avant-plan des questions de politique les plus difficiles et des dossiers qui ne viendraient pas nécessairement dans les mains d’un employé peu expérimenté. Et ce sont que quelques-unes des occasions les plus formidables que j’ai eu la chance d’avoir. 

Mais aussi de les inclure dans les réunions. Je le vois maintenant davantage que dans le passé, et je pense que c’est un pas dans la bonne direction. Je sais maintenant que le greffier a lancé l’initiative « Emmenez-moi avec vous », dans lequel les jeunes sont invités à participer, parce qu’en parlant aux gestionnaires, plusieurs d’entre eux m’ont dit que la première fois qu’ils ont appris à transmettre de l’information à un ministre, ils l’ont appris sur le tas. À quel point est-ce que cela aurait été fantastique d’avoir cette possibilité à l’avance, d’obtenir ce mentorat, de voir comment cela se passe? Alors, lorsqu’ils ont eu besoin de faire cette tâche, ils savaient comment tempérer et comment s’y prendre.

David Morrison: Je veux dire, c’est absolument vrai que les meilleures occasions de développement sont d’observer les autres en action. Nous pensons toujours que la formation veut surtout dire d’aller à un cours ou d’être assis en salle de classe, alors que nous apprenons beaucoup en étant assis dans une salle de réunion et en observant une personne informer un ministre ou en observant un comité en action, et c’est… c’est quelque chose qui… qui a changé, à mon avis, dans le sens où nous avons des observateurs dans tous les comités de gouvernance. Je crois que tu peux simplement contacter le Secrétariat des affaires ministérielles ou ton gestionnaire pour savoir comment y prendre part. Nous sommes conscients, en tant que cadres supérieurs, que c’est la vraie façon d’apprendre.

Toi en… en occupant différents postes au Ministère ou au moins avec tes différents contrats, es-tu… es-tu une personne de développement, de politique étrangère, ou de commerce, ou as-tu travaillé dans tous ces secteurs?

Rasha Al-Katta: J’ai donc eu la chance d’avoir un bon aperçu. J’ai travaillé au sein des communications pour les Jeux panaméricains, dans le domaine multilatéral, en développement, en politique étrangère. Je crois donc que je suis à ma place, ici au Ministère. Je crois que je… j’espère l’être, il me manque un peu de connaissances dans le domaine du commerce, mais j’espère en acquérir davantage, parce qu’honnêtement, cela nous donne une meilleure vue d’ensemble et lorsque tu travailles sur des dossiers, tu as besoin de voir qu’en fin de compte, nous sommes là pour servir les Canadiens, nous sommes ici pour faire avancer les priorités du Canada et nous devons travailler dans tous les domaines. Et j’espère renforcer mes connaissances dans ces domaines, afin d’apporter le plus de valeur ajoutée possible à ce que j’accomplis.

David Morrison: Donc, en réfléchissant un peu à la question de savoir s’il existe une réelle différence entre la génération des milléniaux et le reste de la population, il y a un gars en ville que tu as probablement vu en action et qui fait des présentations lors de conférences, et il parle des milléniaux, et il commence en lisant une assez longue histoire sur la façon dont ils sont si différents. Il s’adonne qu’il lit la page couverture d’un exemplaire du magazine Time datant du début des années 1970. Et la leçon à tirer est que toutes les générations pensent que la plus jeune génération considère que tout lui est dû et qu’elle ne veut pas travailler fort, participer, etc.

Mais je pense personnellement que c’est… simplement différent. Si tu as grandi avec Internet, le monde est plus petit. Les gens ont tendance à avoir voyagé davantage, ils ont tendance à avoir des amis partout dans le monde. Ils ont tendance à penser qu’il est normal de faire un « FaceTime » plutôt que d’utiliser le téléphone, donc… donc je pense qu’il y a une différence de perspectives. Et la proposition que je voudrais tester est de savoir si cette différence de perspectives s’étend à regarder les choses de façon globale. Tu n’es pas la première personne à venir ici à partir d’un niveau subalterne et qui a déjà accumulé autant d’expérience dans de nombreux secteurs d’activités de ce ministère. Tu as mentionné les communications, le développement, la politique étrangère, et que tu aimerais perfectionner tes compétences dans le domaine du commerce. Auparavant, on était en quelque sorte étiqueté dès qu’on entrait au Ministère, dans le sens qu’on était un délégué commercial, ou un agent de développement, etc. Mon hypothèse est-elle exacte que les milléniaux ont tendance à voir le monde plus globalement et moins en vase clos?

Rasha Al-Katta: Je crois que c’est une hypothèse très valable parce que, de nos jours, l’ignorance ne peut plus être une excuse. Tu ne peux plus dire « Je ne savais pas. »…

David Morrison: Je ne sais pas, parce que tout est là si tu prends le temps de chercher.

Rasha Al-Katta: Tout est là et c’est la responsabilité de tous de savoir ce qui se passe dans le monde. Maintenant plus que jamais, nous avons accès à cela. Et c’est aussi, en étant exposé à tant de choses qui se passent dans le monde, vous reconnaissez que les problèmes ne sont pas compartimentés. Et qu’ils sont compliqués.  

David Morrison: D’accord. Et cela est… cela est vrai, n’est-ce pas? Je prends toujours la Colombie comme exemple, mais si tu es l’ambassadeur du Canada en Colombie, tu n’as pas de problèmes en politique étrangère, en commerce ou en développement, tu n’as que tes relations et des outils que tu peux utiliser pour faire avancer les intérêts des Canadiens. Et donc, je pense que, lorsqu’on se situe tout en haut de la hiérarchie institutionnelle, on voit les choses de façon globale. Mais je pense qu’à l’avenir, nos dirigeants vont devoir être des leaders qui voient également les choses plus globalement, plutôt que du point de vue de n’importe quel groupe au sein du Ministère.

Rasha Al-Katta: Il faut une vision globale à tous les niveaux du Ministère, de haut en bas. Je crois que c’est notre responsabilité à tous d’avoir cette vision.

David Morrison: D’un autre côté, certains pourraient avancer que nous avons besoin de spécialistes. Et dans le monde d’aujourd’hui, on peut soutenir qu’il n’y a jamais eu autant de besoins en spécialistes, mais… mais en trouvant le bon équilibre au sein du personnel, je crois que c’est la bonne façon de faire. Passons à une autre facette de ton identité, qui est ton engagement extraordinaire envers le service communautaire. Tu as mentionné avoir travaillé avec les réfugiés syriens, mais ton implication remonte à beaucoup plus loin. Parle-nous d’où cela vient.

Rasha Al-Katta: Je pense que je suis reconnaissante d’être au Canada et d’être Canadienne, étant donné que je viens d’un coin du monde qui fait face à d’innombrables défis en matière de  développement. Il n’y avait pas nécessairement autant d’opportunités. Et maintenant je suis ici dans ce pays formidable, il y a une abondance de ressources et de possibilités, et quel privilège que j’ai, et quelle responsabilité que j’ai de devoir donner en retour, d’aider et de servir. J’ai grandi dans un quartier de logements sociaux et j’ai vu des gens qui n’ont pas nécessairement pu bénéficier des mêmes débouchés. Je pense que c’est quelque chose avec lequel j’ai toujours grandi, les valeurs familiales qui consistent à redonner et à servir. Et vous savez, de me concentrer sur le nous et ne pas être si concentré à consommer, consommer, consommer, mais d’aider et de changer cette façon de penser. Et, en toute honnêteté, c’est… c’est un sentiment de gratitude de pouvoir redonner et d’essayer d’avoir un impact, aussi petit puisse-il être

David Morrison: Y a-t-il un enjeu en particulier dans ton service communautaire qui… je veux dire, il y a un peu de modestie, ce qui n’est certainement pas faux dans ce cas-ci. Le nom de Rasha est gravé sur le Mur d’inspiration de l’Hôtel de Ville d’Ottawa. Elle a remporté plusieurs prix pour son travail dans la communauté. Y a-t-il un problème en particulier sur lequel tu te concentres?  

Rasha Al-Katta: Alors, j’ai commencé en axant mes efforts sur les problèmes des jeunes. Parce que lorsque je me suis impliquée dans le service communautaire, il fallait accumuler 40 heures de service communautaire pour obtenir son diplôme secondaire.

David Morrison: Dans le cadre des études secondaires, oui.

Rasha Al-Katta: Dans le cadre du secondaire, il fallait le faire. Par la suite, je suis devenue en quelque sorte accroc au bénévolat. Je suis tombée en amour et j’ai vu la réelle occasion de contribuer à la société de façon positive, et on n’a pas besoin de quoi que ce soit pour y parvenir; il faut juste se présenter et demander comment on peut aider. Et voilà. Donc, cela a vraiment commencé avec les questions de mobilisation des jeunes et les façons d’amener les jeunes à s’impliquer. Et je me suis impliquée dans le comité du quartier de logements sociaux où j’ai vécu et j’ai essayé de changer les politiques plus globales afin d’augmenter le nombre de logements et d’aider ceux qui vivaient des problèmes, et ce, afin qu’ils puissent être réintégrés dans la communauté, et qu’ils puissent suivre une voie plus constructive.

Et lorsque les réfugiés syriens sont arrivés, il y avait un grand besoin de gens qui parlent arabe, alors j’ai levé la main et je me suis porté volontaire et j’ai aidé. Et une autre cause qui me brise le cœur est le problème de la violence conjugale, et les femmes et les enfants qui doivent fuir leur foyer à cause de la violence. J’ai beaucoup de chance de siéger au conseil afin d’aider. Alors ce sont différents chapitres de ma vie qui m’ont amené à m’investir dans différentes causes qui m’ont particulièrement touchée, et mon instinct a été d’offrir mon aide et de me pencher vers eux et d’essayer de lever la main et de dire « Qu’est-ce que je peux faire? »

David Morrison: Sans vouloir t’embarrasser indûment, parle-moi de ce que tes parents pensent de leur aîné.

Rasha Al-Katta: C’est vraiment drôle parce que je crois qu’ils ne comprennent toujours pas ce que je fais dans la vie. Ils disent : « Est-ce que c’est un bon gouvernement? C’est bien, mais qu’est-ce que le travail politique? Qu’est-ce que c’est? » Alors je ne… je ne sais pas s’ils ont nécessairement compris, mais je crois qu’ils sont simplement occupés à se concentrer sur leurs six enfants. Ils n’ont pas nécessairement la chance de… de prendre du recul, mais ils m’aident à demeurer modeste et à concentrer mes efforts sur ce qui est important. Par exemple votre impact, votre contribution, et le fait de ne pas abandonner. Tout ce que vous faites, faites-le avec votre cœur et essayez d’apporter de la valeur ajoutée et de ne pas trop vous concentrer que sur vous-même et votre ego, mais plutôt sur ce que votre contribution peut être et l’héritage que vous allez laisser.

Et donc, c’est le genre de conversations que j’entretiens, et elles me mettent toujours au défi, de quelle façon peut-on améliorer les choses? Comment avoir un effet positif? Quelle est l’incidence de vos gestes sur les autres? Et je crois que c’est ce qu’ils… ils ont toujours voulu que je rende compte de mes actes. Mais en même temps, je ne sais pas s’ils ont vraiment compris mes… mes choix de carrières.

David Morrison: Eh bien, ce sont des mots inspirants et je peux te dire qu’en tant que père moi-même, qu’ils sont très fiers.

Rasha Al-Katta: Merci.

David Morrison: Bon, alors, avant de devenir émotifs, nous allons conclure. Ce fut merveilleux, Rasha. Et ton récit, du Yémen jusqu’au 125 Sussex [Ministère] et qui sait quelle trajectoire il prendra dans les années à venir, est inspirant et enrichissant pour tout le monde. Merci.

Rasha Al-Katta: Merci beaucoup.

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