La menace des idées générales dans l’élaboration et la conduite de la politique étrangère canadienne

Une quinzaine d’années se sont écoulées depuis qu’Allan Gotlieb, l’ancien sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures et ambassadeur aux États-Unis, a donné la première conférence en l’honneur d’O.D. Skelton. M. Gotlieb faisait alors observer, à l’instar de plusieurs de ceux qui lui ont succédé au lutrin depuis, que Skelton « avait, plus que tout autre, été à l’origine du ministère des Affaires étrangères du Canada tel qu’on le connaît aujourd’hui ». Je me sens donc très privilégié que l’on m’ait demandé de prononcer ce soir une conférence à la mémoire de O.D. Skelton et que – sans réalisations comparables – mon nom vienne s’ajouter à la liste des excellents conférenciers qui m’ont précédé.

Bien qu’apparemment agnostique pendant la plus grande partie de sa vie, Skelton était lié aux presbytériens. Il était marié à une anglicane – une confession qui se caractérise par sa souplesse – mais il a fait sa carrière universitaire à l’Université Queen’s et le premier ministre qui l’a recruté dans son gouvernement et avec qui il a travaillé longtemps de façon très étroite est le presbytérien Mackenzie King. On pourrait voir dans son dur labeur quasi obsessif et dans son attachement aux principes d’autonomie et de responsabilité individuelle, des éléments manifestes des dispositions austères d’un John Knox. On pourrait retrouver également cette connexion presbytérienne dans son attachement aux préceptes modérément égalitaires du libéralisme démocratique, tels qu’on les concevait dans l’Amérique du Nord de son époque. On la retrouve également dans son sens aigu de l’économie. Par exemple, doutant du postulat selon lequel les marques d’une hospitalité opulente sont bonnes pour la diplomatie, il s’est opposé initialement à l’acquisition, en 1927, d’une propriété relativement imposante pour loger la nouvelle légation canadienne à Washington. Il pensait qu’un local plus prosaïque loué dans un hôtel ferait l’affaire, bien qu’il ait finalement concédé, avec une résignation fataliste teintée d’ironie, que « si on vous invite à dîner, vous devez vraisemblablement exercer des représailles ».

Le sentiment qu’avait Skelton, même en tant que sous-secrétaire d’État, de devoir s’occuper personnellement d’à peu près tout était légendaire et on a pu en déceler les conséquences à l’étranger. Philip Kerr, marquis de Lothian et ambassadeur de Grande-Bretagne aux États-Unis, avait fait observer à Vincent Massey, sur un ton plein de sous-entendus : « Il serait préférable que Skelton ne conçoive pas la coopération avec qui que ce soit comme un aveu d’infériorité ». Plus tard, dans ses mémoires, Massey a reconnu souscrire à ce jugement.

S’il y avait une pointe d’amertume dans la remarque de Kerr, c’est peut-être tout autant à cause de la détermination de Skelton à libérer la poursuite des intérêts du Canada dans le monde des effets persistants de la présomption britannique et de l’influence impériale, qu’en raison de ses habitudes de travail par trop envahissantes et de ses manières parfois acerbes. Mais la tendance du sous-secrétaire à être un peu brusque était certainement ce qui l’incitait à faire preuve de franchise, d’esprit d’analyse et de fermeté dans ses jugements. Les gouvernements européens, pensait-il, étaient trop obnubilés par la politique de la force dans leurs comportements à l’étranger et, chez eux, trop au service de classes dominantes démesurément privilégiées. Des relations internationales d’un meilleur aloi naîtraient, non pas du recours inconsidéré à la force militaire, mais de l’exercice de la raison par des dirigeants dont la mentalité serait enracinée dans une politique véritablement libre et démocratique. C’est peut-être cet héritage qui amènera plus tard John Holmes, un autre diplomate-universitaire canadien tenu en haute estime – communauté nombreuse, comme il devait s’avérer – à faire remarquer que « les Canadiens descendent de lignées messianiques », qu’« ils sont hantés par les esprits de John Knox et de Jean de Brébeuf » et qu’ils ont été endoctrinés en outre par les Américains à accepter « le postulat selon lequel une nation doit être organisée en fonction d’un but politique bienveillant ».

Ces prédispositions sont certainement en nous aujourd’hui. Il me semble toutefois percevoir – à notre époque – tout autant l’influence de John Wesley que celle de John Knox dans les réflexions sans fin sur le rôle que le Canada devrait jouer dans les affaires internationales. Cela n’est peut-être pas surprenant. L’Église Unie a fait son apparition en tant que force majeure dans la vie du Canada par suite du regroupement en 1925 de 70 p. 100 des presbytériens et de l’ensemble des méthodistes, des congrégationalistes et des membres de l’Union Churches of Western Canada. Je n’ai pas étudié l’histoire de cette approche typiquement canadienne qui consiste à passer outre aux divergences mineures, encore moins les subtilités théologiques qui peuvent avoir été en cause. Mais a posteriori, il semble que les méthodistes n’aient pas tardé à dominer le canon après son intégration (du moins en ce qui concerne sa pratique ici-bas). De nos jours, nous entendons beaucoup moins d’anathèmes jetés du haut de la chaire en réaction aux péchés des Pharisiens et beaucoup moins de sermons sur la vertu qui consiste à veiller soi-même sur son destin. Par contre, nous entendons beaucoup plus parler de la nécessité de pardonner, de venir en aide aux plus faibles, de protéger les plus démunis et de les habiliter. On ne prêche plus que Dieu aide ceux qui s’aident, mais plutôt que Dieu vient en aide à ceux qui aident les autres. Sous sa forme laïque, ce principe est omniprésent dans notre culture politique, bien qu’il semble laisser amplement de place à notre éternel attachement aux biens matériels et à leur poursuite sereinement intéressée, notamment par nos classes dominantes et, selon sa capacité, par la plus grande partie du reste de la société.

Il s’agit évidemment d’une boutade qui ne doit être prise ni trop littéralement ni trop sérieusement. Les postmodernistes appelleraient cela une construction de l’esprit et ils pourraient en penser du mal. Quoi qu’il en soit, ce principe s’accorde difficilement avec la distribution réelle des affiliations religieuses des Canadiens même à l’époque de Skelton, et encore beaucoup moins de nos jours. Mais je souhaite tout de même dans mes propos me servir de la distinction entre presbytériens et méthodistes pour exprimer une préoccupation au sujet de la conduite des affaires étrangères qui est en train de voir le jour – et surtout sur le discours public de plus en plus répandu et le rôle que nous semblons, en tant que communauté politique, penser que nous devrions jouer dans le monde.

Pour des raisons que j’espère énoncer clairement, la préoccupation dont je veux parler s’applique davantage à nos interventions outre-mer qu’à nos relations avec les États-Unis (bien que la politique étrangère américaine ait récemment contribué à compliquer – pour ne pas dire compromettre – les opérations et activités des Canadiens de même que celles d’autres acteurs à l’étranger). Le problème que je décèle – je crois qu’il s’agit vraiment d’un « problème » – a des racines multiples et j’essaierai, quoique très brièvement, de conjecturer au moins quelques-unes d’entre elles. Au terme de ma présentation, à titre tout à fait gratuit, je vais tenter de cerner quelques-unes des choses pratiques à faire et à ne pas faire qui pourraient, en théorie, être inférées de mon analyse. Bon nombre d’entre vous trouveront presque certainement cette discussion un tantinet dépassée, et jugeront qu’elle pèche par manque d’imagination créatrice. Mais ma prémisse de base est que la conduite de la politique étrangère est – ou devrait être – une activité pratique et utilitaire. Définir ses objectifs et expliquer les valeurs qui sont censées les sous-tendre peut être une entreprise satisfaisante. Si nous ne sommes pas trop honnêtes avec nous-mêmes, elle peut même nous satisfaire. Mais il s’agit là de la partie facile – la partie des idées générales. Découvrir quand et comment la politique elle-même peut être mise en œuvre, c’est ce qui est plus difficile. Et personne ne devrait songer – ne fût-ce qu’un instant – qu’il suffit de bonnes intentions pour justifier les initiatives en politique étrangère. En matière de politique gouvernementale, l’efficacité se mesure au résultat. D’autres instruments de mesure peuvent convenir sur le plan politique, mais il s’agit le plus souvent de baratin intéressé.

Il y a quelques instants, j’ai indiqué que je ne considérais pas nos relations avec les États-Unis comme un sujet de préoccupation important dans le contexte du problème que je tente de traiter. Je devrais peut-être m’expliquer. Il y a à peine deux semaines, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a fait remarquer dans le résumé de son dernier rapport : « Le Comité juge immature l’attitude générale des Canadiens à l’égard des États-Unis ». Les spécialistes des relations canado-américaines se plaignent en outre depuis quelques années du traitement lamentablement maladroit et embarrassant réservé en public aux relations continentales par les politiciens canadiens, qui ont intérêt sur le plan électoral à faire des déclarations fracassantes aux dépens des Américains, et succombent à la tentation même lorsqu’ils sont parfaitement conscients que, ce faisant, ils ne servent nullement les intérêts canadiens et exercent encore moins une influence positive sur le comportement américain.

Mais il s’agit là d’un comportement politique superficiel – complaisant peut-être, certainement inutile et manifestement contraire aux importantes réalités qui sous-tendent les relations bilatérales. Dans l’ensemble, et hormis quelques exceptions, nos rapports avec les États-Unis sont dictés par des intérêts qui sont à la fois matériels et directs – des intérêts qui monopolisent en fait l’attention des élites les plus influentes tant au sein des pouvoirs publics que du secteur privé. Les titulaires de hautes charges électives se plient certainement de temps à autre au souhait des Canadiens dans leur ensemble de renforcer leur sentiment de dignité en se distinguant de leurs voisins américains. Nos dirigeants politiques essaient en outre de distancier nos performances à l’étranger des comportements parfois perturbateurs qui émanent facilement – et c’est bien compréhensible – d’une superpuissance nerveuse et compétitive. Mis à part ces fleurs de rhétorique lancées en faveur des Canadiens et aux dépens des Américains, il me semble toutefois, sur les questions bilatérales de grande importance pratique, que les responsables qui à Ottawa ont à traiter avec la substance, par opposition à la simple couleur, des relations entre le Canada et les États-Unis font habituellement leurs calculs avec une rigueur intellectuelle remarquable. Ils évaluent notamment les tactiques en ayant une idée très claire des avantages et des inconvénients des solutions offertes. Même lorsqu’ils examinent des idées générales de nature plus large – d’ambitieux modèles révolutionnaires d’accords économiques et de sécurité nord-américains, par exemple – ils se concentrent principalement sur les éléments fondamentaux et ils se préoccupent surtout de la préservation et du renforcement des bienfaits substantiels dont profitent les Canadiens dans leur ensemble : une plus grande richesse, une sécurité mieux assurée, et ce, de manière cohérente et fiable pour aussi longtemps que faire se peut.

On pourrait faire valoir qu’il s’agit là du domaine de la politique étrangère réelle du Canada et que, nonobstant le bavardage des intellos, nous en parlons étonnamment peu, et ce, même (et peut-être surtout) dans nos énoncés de principes et autres déclarations officielles sur nos relations extérieures. Le contexte nord-américain est ce qui importe le plus pour nous. Mais il est peu gratifiant de concentrer nos efforts théoriques sur ce qui est en fait un vaste ensemble composite de forces impersonnelles. Cela nous rappelle après tout nos failles et les limites qui contraignent notre liberté d’action. Aussi confions-nous pour l’essentiel le bon fonctionnement de la politique aux mécaniciens, ce qui dans le contexte de la chose publique réfère à un vaste ensemble de fonctionnaires dispersés, et souvent déconnectés, au sein d’une immense bureaucratie, alors que nos politiciens tentent de temps en temps de couvrir le processus de déclarations à la fois intéressées et non pertinentes par rapport à ce qui se passe réellement sur le terrain. Bref, nous avons érigé des prétentions cosmétiques en vertu, tout en faisant travailler nos experts les plus compétents sur ce qui nous enrichit.

C’est dans ce sens très particulier que je ne considère pas la façon dont nous menons nos relations avec les États-Unis comme un « problème ». Certes, elle soulève des difficultés et, manifestement, ces difficultés sont elles-mêmes empreintes de « politique ». Elles posent des problèmes aux responsables de l’élaboration des politiques. Mais, en dernière instance, ces défis sont davantage d’ordre pratique que théorique et leur persistance dans le temps montre qu’ils constituent un aspect normal de la conduite des affaires dans le contexte nord-américain. Ceux qui doivent traiter avec les Américains comprennent bien qu’il s’agit avant tout d’intérêts – directs, immédiats et souvent vitaux. Par nature, les impératifs possèdent leur propre logique et la conduite des relations bilatérales du Canada avec les États-Unis concerne ultimement la gestion d’impératifs. C’est le jeu que les presbytériens connaissent le mieux.

Ma véritable préoccupation – dans le contexte actuel du moins – réside donc ailleurs et, de façon plus particulière, dans notre approche des défis politico-sécuritaires outre-mer, où le jeu est fort différent. D’abord, notre comportement dans ce domaine n’est pas tant dicté par des impératifs, bien que ceux-ci fassent de brèves apparitions ici et là dans des dossiers transnationaux qui ont une importance fonctionnelle de premier plan pour le Canada – le commerce, par exemple, le droit maritime, la lutte contre les maladies, ou (de façon plus ténue, il semblerait) la protection de l’environnement. Mais dans le domaine politico-sécuritaire, la vérité est que nous n’avons pas à faire quoi que ce soit. Les actions que nous menons sont facultatives, c’est-à-dire « volontaires ». Cela étant, nous pouvons beaucoup plus facilement prétendre dans nos opérations outre-mer que dans des contextes plus près de chez nous que notre performance est fonction, non pas tant de nos intérêts que de notre nature, de notre culture, de nos valeurs. Même là où nous avons des intérêts identifiables en jeu, et ils tendent à être beaucoup moins directs et beaucoup plus diffus que ce n’est le cas en Amérique du Nord, les objectifs que nous avons à l’esprit ne peuvent, la plupart du temps, être atteints par nous seuls, de manière isolée. Tout cela nous permet de prétendre que ce qui est dans l’intérêt bien compris de la communauté internationale dans son ensemble est aussi dans l’intérêt du Canada. Heureux ce pays où les conditions géopolitiques relèvent tellement de l’ordinaire que les citoyens peuvent faire de telles affirmations sans broncher! Notre seul désir, insistons-nous, est de relever ceux qui sont tombés, de secourir les opprimés et de soulager les misérables en faisant valoir que, ce faisant, nous rendrons le monde meilleur, plus sécuritaire et plus prospère non seulement pour eux, mais également pour nous-mêmes et les autres aussi. Nous agissons donc ainsi, non pas en presbytériens, mais en méthodistes, nous pensons moins en économistes et davantage en travailleurs sociaux.

Je tiens à souligner que je n’ai fondamentalement aucune objection – en principe du moins – à cette attitude générale et que je me réserve le droit de m’offusquer si on me dit plus tard dans la soirée que je suis attaché à un réalisme brut et sans cœur. Le Canada est un pays incroyablement privilégié. Il a la chance que le cours de son histoire ait été relativement favorable (bien que l’on puisse comprendre que les Premières nations pensent autrement); il a la chance d’être doté d’énormes richesses, de jouir d’une situation géographique aussi sécuritaire qu’il se peut sur cette planète technologisée et, malgré ce que nous disons et entendons souvent dans les débats politiques quotidiens, de posséder un système enviable d’institutions gouvernementales, de normes et de pratiques qui ensemble assurent la prestation de services publics de grande qualité de façon suffisamment responsable. N’étant pas astreints – sauf dans nos relations avec les États-Unis – à des impératifs de politique étrangère persistants, urgents et vitaux, nous sommes exceptionnellement bien placés pour satisfaire notre désir tout à fait humain de faire du bien dans le monde et d’en tirer satisfaction. Étant donné les avantages extraordinaires dont nous jouissons, si NOUS n’essayons pas, il est difficile d’imaginer quelle société le fera – hormis peut-être la Scandinavie et l’Australasie. Et à quel espoir vague pourrions-nous nous accrocher pour entretenir notre foi dans le progrès et dans la possibilité d’améliorer le monde grâce à une action collective orchestrée au niveau des politiques gouvernementales? Nous sommes fondamentalement occidentaux. Nous pouvons accepter (comme Margaret Atwood prétend que notre littérature le fait) que le destin pèse sans cesse sur nous d’une main influente et parfois pesante. À cet égard, nous sommes peut-être un peu plus comme les Européens et un peu moins comme les Américains. Mais nous sommes également convaincus que, parmi les forces à l’œuvre dans l’histoire, il y a au moins une petite place pour les actes d’inspiration humanitaire et que, pour être authentiques, il faut en tirer parti de manière constructive. De plus, les sciences sociales – le legs intellectuel du Siècle des lumières – entretiennent l’espoir quant à nos moyens réels d’intervention, quant à l’existence de variables sur lesquelles nous pouvons agir pour promouvoir des changements bénéfiques.

Donc, je ne vois – en principe – aucun inconvénient à l’impulsion méthodiste et à notre souhait d’améliorer la vie de nos semblables moins fortunés à l’étranger. Essentiellement, et en dépit des réalistes irréductibles, je pense que cette impulsion serait mieux défendue pour des motifs de convenances (en faveur desquels il existe des arguments utilitaires d’une autre sorte) qu’en invoquant les intérêts nationaux conçus de manière étroite. La principale responsabilité de l’État – une responsabilité qui est au cœur des mécanismes de responsabilisation intégrés à nos institutions de gouvernement représentatif et responsable – est de servir ses propres citoyens. Mais néanmoins, il est libre, à l’intérieur de certaines limites, de mettre quelques-unes de ses ressources au service des autres, pour autant que les citoyens du pays l’aient mandaté pour ce faire. Notre propre État est précisément confronté régulièrement à ce type de mandat.

Ce qui me préoccupe davantage est que l’approche que nous mettons en œuvre pour réaliser nos aspirations internationales bien intentionnées est devenue quelque peu irréfléchie et que nous sommes de plus en plus coupables, comme John Holmes l’a déjà fait observer avec sa perspicacité caractéristique, de fuir les terribles faits. Entraînés dans cette tangente vertigineuse, nous avons trouvé refuge dans une rhétorique que Kim Nossal a implacablement qualifiée de « guimauve ». Bref, je m’inquiète non pas de notre méthodisme simple, mais de notre méthodisme effréné.

Pour m’exprimer de manière plus concrète, il me semble que nous sommes devenus extrêmement optimistes quant à notre capacité de transformer, selon des modalités que nous croyons salutaires, les sociétés dans lesquelles d’autres vivent et dans lesquelles les façons de faire, les traditions et les conditions historiques sont très différentes des nôtres. Cet optimisme quant aux fins s’accompagne – bien que je doive concéder que certains doutes ont été exprimés récemment à ce sujet – d’un optimisme quant aux moyens. Nous semblons être arrivés à la conclusion que les transformations que nous envisageons peuvent être opérées dans un laps de temps relativement court, au moyen d’investissements raisonnablement modestes, et non dans un esprit impérial (qu’il s’agisse de la version lourde ou de la version « allégée »), mais dans un esprit libéral.

Ces deux prémisses sous-jacentes sont étayées par une troisième qui veut que nous soyons en mesure de nous appuyer sur une technique rigoureuse pour mener la tâche à bien. Ce dernier point révèle évidemment l’arrogance inconsciente de l’aspirant ingénieur social et est encouragé par une foi démesurée dans les sciences sociales appliquées. Il reflète le point de vue du Siècle des lumières selon lequel les lois naturelles du comportement n’attendent que d’être découvertes et, une fois que nous les aurons cernées, nous pourrons en tirer parti pour construire des cités célestes sur terre. Il accepte également le corollaire du Siècle des lumières selon lequel les vérités ainsi révélées sont universelles.

Je suis parfaitement conscient qu’il n’est pas de bon ton de faire preuve de scepticisme dans ce domaine. Je risque à tout le moins d’être accusé de faire du mieux l’ennemi du bien. Même le pragmatique Comité sénatorial permanent, après tout, a jugé bon de donner à son récent rapport, Face aux turbulences, un titre anglais qui sous-entend que les turbulences en question peuvent effectivement être « gérées ». Évidemment, les gouvernements ont changé et les positions officielles sur ces questions peuvent aussi changer, si ce n’est déjà fait. Mais le fait demeure que l’on a beaucoup parlé au cours des dernières années de notre désir de sauver les États en déroute ou fragiles et de le faire dans un style Force opérationnelle – c’est-à-dire avec l’aide des « 3 D » ou des « 3 D et C » ou même par des opérations « pangouvernementales » ou, plus récemment encore (il est difficile de rester au courant!) des opérations de l’ensemble du gouvernement. À la Défense nationale, on préfère parler plus modestement de « guerre en trois volets », mais la conception générale est à peu près la même. On croit qu’en tirant sur plusieurs leviers à la fois – en ayant recours de manière simultanée à un certain nombre de variables – nous pouvons transformer fondamentalement la société, la politique, l’économie et même la culture des collectivités que nous ciblons.

Nous sommes d’ailleurs loin d’être les seuls à penser de cette manière. Les Britanniques, parmi de nombreux autres, ont les mêmes dispositions. L’OTAN [Organisation du Traité de l’Atlantique Nord] aussi, semble-t-il. Les Nations Unies, fortes de ses institutions spécialisées, utilisent depuis ses débuts des concepts vaguement comparables, bien que d’une manière moins ambitieuse et envahissante au départ qu’il le semblerait aujourd’hui, et ce, avec les encouragements enthousiastes du Canada. Les Américains, même quand ils pensent par eux-mêmes, jouent un peu avec cette idée également.

Mais au Canada, c’est devenu en quelque sorte un mantra – sinon de manière générale, du moins certainement chez ceux et celles qui suivent la politique de près. Bien que diversement exprimé par les différents acteurs, l’argument de base ressemble à peu près à ceci : l’État X est en déroute, ou est fragile, et par voie de conséquence menace de s’effondrer, ou encore opprime à un degré extrême les populations locales et a des visées mal intentionnées à l’étranger. Il nous faut donc redresser la situation. Il faut d’abord mettre les habitants de ce pays à l’abri de la menace militaire. Le système politique doit lui-même être démocratisé, et il doit reposer sur la primauté du droit et le respect des droits humains. Il faut aussi une infrastructure matérielle et de services sociaux administrée honnêtement, y compris en tête de liste des routes, des écoles et des hôpitaux. L’égalité des sexes est un préalable essentiel. Il importe également d’universaliser l’éducation. Il est indispensable que l’économie affiche un taux de croissance satisfaisant et produise des biens et des services utiles, et qu’en outre le taux d’emploi soit raisonnable, non seulement parce que l’édifice dans son ensemble ne peut être soutenu que par des ressources économiques adéquates, mais également parce que les jeunes hommes sans emploi représentent une menace et doivent être détournés d’activités néfastes et inquiétantes en se consacrant à des choses utiles et enrichissantes. Lorsque ces conditions sont remplies de façon satisfaisante, on peut éviter la radicalisation de la politique; et une politique laïcisée de compromis et de tolérance – une politique de pluralisme amical, bref une politique comme celle du Canada – voit le jour peu à peu.

Je vais appeler cette construction modèle global d’ingénierie sociale. Ainsi décrit, ce modèle est extrêmement attrayant. Il repose sur un ensemble de propositions empiriques apparemment plausibles qui ont trait aux racines respectives des bons et des mauvais comportements sociaux et politiques, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Il offre donc – du moins en apparence – un guide clair pour l’action. Il nous indique concrètement quoi faire. Parce que nous pensons que son applicabilité est universelle, nous sommes aussi convaincus que notre attachement à ce modèle nous place solidement du côté des bons et des justes, du côté de la loi naturelle. D’ailleurs, nos alliés ont aussi adopté ce point de vue, bien que pas tous avec une égale conviction. Et finalement, si cela fonctionne réellement, tout le monde se retrouvera dans l’univers confortable de l’OCDE [Organisation de coopération et développement économiques] et éventuellement ailleurs également, de sorte que tous seront beaucoup moins vulnérables qu’ils ne semblent l’être actuellement aux méfaits violents des fanatiques et des furieux.

Ces observations peuvent contribuer à expliquer – du moins sur le plan intellectuel – pourquoi nous sommes heureux d’être là où nous sommes et comment nous y sommes arrivés. Mais ce modèle peut lui-même s’avérer à terme beaucoup moins attrayant en pratique qu’en théorie. Certains feront valoir que la preuve en est déjà faite. D’autres affirmeront que la question reste entière. Mais quoi qu’il en soit, je veux maintenant examiner, ne serait-ce qu’à titre d’exemples, quelques-uns des problèmes qui me paraissent sous-tendre le modèle lui-même. Je le fais parce que si nous n’en tenons pas compte, nous risquons sérieusement de réfléchir de manière beaucoup trop simpliste aux défis auxquels nous sommes confrontés et à la façon dont nous devrions les relever. Il est possible notamment que nous ne fassions pas suffisamment attention aux nuances subtiles du contexte et aux difficultés qui résident toujours dans les menus détails. Bref, nous ne procéderons pas à l’analyse stratégique rigoureuse que nous appliquons systématiquement ailleurs et nous nous embarquerons beaucoup trop facilement dans des projets de grande envergure en nous fondant uniquement sur des idées générales, formulées de manière vague.

Je vous demande donc de considérer les éléments de réflexion suivants :

Problème 1 – Le modèle est statique. La première, et peut-être la plus fondamentale des difficultés me semble-t-il, est que le modèle lui-même est statique. Il s’agit d’un portrait figé de la façon dont les choses sont ou pourraient devenir. Or, on l’invoque néanmoins comme justification intellectuelle pour amorcer un processus qui est intrinsèquement dynamique, un processus défini par le changement. On semble verser dans le charabia universitaire, dans ce qui est pour les sciences sociales modernes l’équivalent de la sophistique. Permettez-moi de m’exprimer en des termes plus concrets. Ce que suppose ce modèle, c’est que si certaines conditions sont réunies dans une société donnée – un système de gouvernement démocratique, par exemple, accompagné d’un appareil honnête et sophistiqué de maintien de la primauté du droit, un régime efficace de protection des droits humains, une population relativement bien éduquée, et ainsi de suite – alors il y a beaucoup plus de chances pour que cette communauté politique soit stable, qu’elle assure la prestation des services publics appropriés aux citoyens du pays, qu’elle se comporte de manière responsable dans ses rapports avec les autres puissances, qu’elle ne devienne pas le foyer de politiques radicales menées par des guérilleros œuvrant à l’échelle transnationale, etc. Mais cela équivaut à dire que si les conditions prévalant dans l’État en déroute ou dans l’État fragile étaient des conditions comparables à celles du Canada, les habitants se comporteraient davantage comme des Canadiens. Tout cela est peut-être vrai. La difficulté toutefois réside dans le fait que les conditions en question ne sont pas des objets inertes comme les ingrédients d’une recette de biscuits qui, si nous les mélangeons ensemble dans l’ordre indiqué et dans les quantités prescrites, donnent à coup sûr des biscuits. Dans le monde réel des affaires humaines, le changement est lui-même une force perturbatrice imprévisible et la loi des réactions imprévues s’applique couramment. Que l’on modifie une circonstance, ou un ensemble de circonstances, et les répercussions se feront sentir partout ailleurs, la moindre n’étant pas l’état d’esprit des personnes les plus directement touchées.

Ce phénomène peut même se produire en réponse à l’innovation la plus prosaïque. Un exemple classique – bien connu des étudiants spécialisés dans l’aide au développement – est celui de l’introduction de tracteurs agricoles (et je crois comprendre que c’est un peu ce que nous avons fait récemment à Kandahar). La production agricole devient alors plus efficiente, mais par voie de conséquence, un grand nombre de jeunes hommes sans instruction perdent leur emploi, sont ainsi laissés à eux-mêmes sans aucun autre débouché, non seulement dans l’immédiat mais dans un avenir prévisible. Les familles étendues deviennent économiquement dysfonctionnelles et éclatent. De telles trajectoires évolutives peuvent avoir des conséquences très néfastes sur le tissu des sociétés qui, à maints égards, sont l’antithèse même du monde libéral avec lequel nous sommes familiers aujourd’hui – un monde où l’individualisme atomistique est une valeur fondamentale et où la mobilité des travailleurs est un préalable à la création de la richesse matérielle à laquelle nous sommes si fortement attachés.

En outre, cet exemple très simple illustre des conséquences que nous pouvons facilement comprendre. Dans l’univers du changement sociétal, il ne provoque qu’une petite averse de pluie. Par contraste, l’introduction d’institutions démocratiques, ou l’application d’une version libérale de l’égalité des sexes, peut déclencher des tempêtes susceptibles de détruire les structures de pouvoir traditionnelles et les façons coutumières de faire les choses, et ce, d’une manière si importante et globale qu’elle laisse les gens du pays complètement désorientés et dans un état de fébrilité extrême. Cette nervosité se fait particulièrement sentir parmi les élites locales au pouvoir. Les ruminations intellectuelles de Karl Marx accusaient peut-être certaines lacunes, mais il avait certainement raison d’observer que les classes qui jouissent de pouvoirs et de privilèges sont enclines à résister à ceux qui veulent les remettre à leur place. Même dans l’Occident libéral, ce processus s’est rarement produit sans donner lieu à des révolutions violentes ou à des renversements militaires et, même dans ces conditions, pas toujours avec succès. Or, l’hypothèse qui sous-tend notre modèle d’ingénierie sociale est que la plupart des personnes à qui nous communiquons notre message et prodiguons notre aide verront bientôt la lumière – la lumière que nous voulons leur faire voir. Sinon, ce seront leurs enfants qui la verront. Or, il se peut bien qu’ils ne puissent pas la voir. Ou encore, qu’ils puissent voir la lumière mais ne pas l’apprécier. Et nous nous retrouvons alors, non pas avec une dynamique politique de nature adaptative marquée par le compromis, mais plutôt avec une dynamique politique empreinte d’animosité. En pareil cas, le processus de changement lui-même aura consacré l’échec des prédictions du modèle et il s’avérera que les architectes de celui-ci auront sous-estimé depuis le début à quel point la voie menant au changement était semée d’embûches.

Problème 2 – Le modèle suppose un apport plus important que ce que nous sommes disposés à consentir. Même si le chemin à parcourir était droit, uni et exempt d’obstacles, il reste qu’un deuxième problème se poserait. Et ce, parce que le programme d’action pratique qui découle du modèle global d’ingénierie sociale est extrêmement ambitieux et que rien n’indique que nous, en tant que Canadiens, ou même nous et nos alliés ensemble, soyons réellement disposés à consacrer toutes les ressources voulues pour le mettre en œuvre, sans parler de la nécessité de persévérer aussi longtemps qu’il le faudra. Cela a été manifestement vrai en Haïti, même si la diaspora haïtienne du Québec donnait à nos politiciens des motifs intéressés de faire le travail correctement. Cela a été vrai également en Somalie. C’est certainement vrai au Soudan. Cela a été tragiquement vrai au Rwanda. Et en dépit des affirmations contraires que nous entendons aujourd’hui presque quotidiennement de la part de nos dirigeants politiques et militaires, il y a de très fortes chances pour que cela s’avère vrai aussi en Afghanistan, dans des régions où nos alliés ont déjà peur de s’aventurer. Même aujourd’hui, certains indices donnent à penser que nous envisageons discrètement d’apporter des contributions qui pourraient tenir lieu de solutions de rechange raisonnablement honorables aux déploiements militaires indéfinis.

Le souvenir de ces performances qui nous laisse parfois moroses nous confronte directement à une réalité troublante, déconcertante mais implacable : le modèle global d’ingénierie sociale que nous envisageons ne peut fonctionner, même en théorie, sans d’importants investissements consentis sur une très longue période au moyen d’un éventail incroyablement large d’initiatives du secteur public, et ce sont là des investissements que nous ne sommes pas disposés à consentir. Quiconque a des doutes à cet égard devrait lire la section « Une concentration plus stratégique » du document Énoncé de politique internationale 2005, qui était consacrée à l’aide au développement. Je sais bien que ce document a été relégué aux oubliettes avec les autres vestiges d’un gouvernement aujourd’hui défunt. Mais il expose clairement le modèle que nous envisageons; et la gamme d’initiatives qu’il reconnaît comme essentielles pour mener à bien le processus est absolument gigantesque. Personne, je présume, ne pense que le Canada a l’espoir de mener à bien une telle entreprise de transformation – dans quelque pays que ce soit – uniquement par lui-même. Mais les chances me paraissent bien minces pour que nous la menions à bien, même en coalition avec d’autres. Nous ne sommes tout simplement pas prêts à consacrer autant de ressources et d’efforts à cette tâche.

Problème 3 – Le modèle exige que nous fassions des choses que nous ne savons pas faire. Mais même si nous étions prêts à consentir cet effort, un troisième problème se poserait. Il découle du fait que nous ne saurions pas comment faire le travail, même si nous étions assez fermement résolus à essayer. Au milieu des années 1980, les élites canadiennes (je l’ai souvent fait valoir) ont renoncé en grande partie à tenter de faire décoller l’économie du Cap-Breton par des politiques publiques (de même que les économies d’autres régions classées en difficulté). Rien ne semblait prévaloir contre les forces du marché. Le gouvernement ne pouvait jamais trouver des gagnants. Au contraire, il se retrouvait constamment avec des perdants. Peut-être devrait-il abandonner les efforts et laisser aller les choses. La main-d’œuvre, faisait-on valoir alors, irait là où sont les emplois – de même que les travailleurs affluent aujourd’hui en Alberta – et l’économie du pays dans son ensemble serait alors en meilleur état, même si l’économie du Cap-Breton continuait de languir (comme c’est effectivement le cas). Un scénario controversé, me direz-vous, et je conviens évidemment que le tableau est plus complexe. Je cite cet exemple seulement pour faire valoir que si nous ne pouvons faire ce travail au Cap-Breton (que nous renflouions l’économie ou que nous laissions agir les forces du marché) – si nous ne sommes pas en mesure de relever ce défi dans notre propre pays, avec tous les avantages et les ressources dont nous disposons – pourquoi croirions-nous que nous pouvons le faire en Haïti? Ou encore au Soudan? Ou en Somalie? Et qu’est-ce qui nous fait penser que nous pouvons trouver une culture plus lucrative que celle du pavot pour les agriculteurs de l’Afghanistan, même si nous avions trouvé moyen de les libérer des extorsions des chefs de guerre et des criminels organisés? Dans les circonstances, il n’est pas surprenant que certains esprits parmi les mieux intentionnés aient abandonné la partie et suggèrent de trouver des façons plus constructives d’utiliser les stupéfiants tirés du pavot. Non pas que cela ait des chances de fonctionner non plus.

Problème 4 – Le modèle exige que nous fassions des choses qui vont à l’encontre de notre propre philosophie publique. Il s’agit là d’un quatrième facteur inhibant et il découle de notre propre libéralisme. (Je m’empresse d’ajouter que j’emploie ce terme dans un sens générique et sans intention partisane. Nous pouvons vraisemblablement reconnaître que tous les partis politiques du Canada, même s’ils ont des priorités différentes, sont de manière générale issus de la même tradition libérale occidentale.) Comme nous le savons tous très bien, une partie de la résistance sur le terrain à l’ingénierie sociale que nous envisageons découle du fait que les populations locales – dans leur ensemble ou en grande partie – pensent différemment de nous. À l’âge adulte, c’est tout à fait humain de leur part de ne pas vouloir consentir les efforts intellectuels et psychologiques nécessaires pour changer de mentalité, sans parler du désagrément d’en assumer les conséquences pratiques. Le problème devient encore plus complexe lorsque les gens sont illettrés, mais il ne s’agit pas de la principale source de la difficulté. Celle-ci réside comme diraient les sociologues, dans la manière dont ils ont été socialisés – ce qui leur a été enseigné comme vrai par leurs parents, leurs chefs religieux, leurs instituteurs (s’ils en ont eus), leurs frères et sœurs, leurs conjoints et leurs pairs. Or, notre libéralisme – renforcé par notre prudence – nous interdit d’intervenir dans le programme d’études qu’ils offrent dans leurs écoles, et à plus forte raison dans les propos que tiennent leurs chefs religieux dans les lieux de culte. Il y a des cas où tant les écoles que les chefs religieux menacent notre propre sécurité (du moins le pensons-nous) en allant trop loin, et nous pouvons alors exhorter les autorités politiques locales à fermer les portes des établissements délinquants ou à incarcérer les prédicateurs fautifs. C’est toutefois l’exception et non la règle et, dans tous les cas, nous ne voulons ni ne pouvons faire le travail nous-mêmes. Aussi nous contentons-nous de construire ou de rénover les immeubles dans lesquels les écoles peuvent être logées et d’encourager spécialement, avec le concours d’ONG [organisations non gouvernementales] locales, les écoles de femmes. Mais autrement, nous n’avons guère voix au chapitre à propos de ce qui se passe à l’intérieur de ces établissements. Nous pouvons à tout le moins fournir des cahiers et des crayons. Mais les pages du cahier sont blanches. Il ne nous appartient pas de décider ce qui sera écrit dans ces cahiers.

Je ne conteste pas ces pratiques car je doute que nous ayons véritablement le choix à cet égard. Mais je fais remarquer qu’elles ont l’effet de nous rendre beaucoup plus difficile la tâche d’insuffler à des sociétés, à des cultures des valeurs démocratiques libérales apparentées aux nôtres. Si les Serbes et les Albanais du Kosovo fréquentent des écoles différentes pour y être endoctrinés et imprégnés d’un sentiment d’injustice par des interprétations historiques et biaisées issues d’un passé ancien, le processus de libéralisation de même que l’émergence d’une politique pragmatique d’échanges et de concessions seront grandement retardés. En Bosnie, les politiciens jouent de nouveau leur carte ethnique respective. Dans les circonstances, pouvons-nous en être étonnés?

Problème 5 – Le modèle exige que nous soyons mieux renseignés que nous ne le sommes. Il y a, je crois, un cinquième problème et celui-ci est vraiment de notre faute. En fait, il est au cœur de ce que je veux nous faire comprendre à tous ici ce soir. Car il me semble que nous ne faisons pas souvent preuve de compréhension à l’égard des sociétés que nous cherchons à transformer. En un sens, il s’agit d’une simple question de connaissances – connaissance des langues, de l’histoire, de la culture, des coutumes, des normes, des structures de pouvoir, des styles de gouvernance, des pratiques économiques de production et de distribution et de tout le reste. Ce sont là des connaissances que nous ne possédons pas – du moins pas là où il le faudrait, là où se prennent nos décisions – bien qu’il semblerait que nos troupes en acquièrent rapidement certaines notions en Afghanistan. Hélas, ils l’apprennent à la dure, à leurs dépens.

Les lacunes au niveau de nos connaissances sont évidemment en grande partie les conséquences de réalités simples et évidentes. Nous sommes à court d’experts et les ressources que nous avons affectées au service du renseignement et au service extérieur ont été beaucoup trop insuffisantes pendant des années pour toutes les capacités d’analyse dont nous avons besoin dans un monde où aucune région ne peut en toute sécurité être laissée sans surveillance.

Mais je pense aussi que nous pouvons dans une certaine mesure partir du principe que le fait de posséder les connaissances dont je parle n’importe pas beaucoup. Pourquoi? Parce que nous avons notre modèle, notre « idée générale » et que nous sommes convaincus que son applicabilité est universelle. Même si j’ai été présenté en tant que politicologue s’intéressant aux affaires étrangères, je suis tenté de suggérer que nous avons trop étudié les relations internationales et pas suffisamment lu l’histoire et analysé les sociétés, les systèmes politiques et les cultures qui ne s’inscrivent pas dans la même tradition que la nôtre.

Je me rappelle une conversation que j’ai eue il y a quelque temps avec une personne bien renseignée à Ottawa (qui ne travaille pas aux Affaires étrangères) et dont je préserverai l’anonymat. Je lui ai dit que dans mes loisirs j’essayais de voir si quelqu’un au gouvernement s’était livré à une sérieuse analyse politique de la situation en Afghanistan avant que nous décidions d’y engager nos forces. Je savais, bien sûr, que de grands intérêts diplomatiques étaient en jeu. Un important déploiement canadien renforcerait sans conteste notre position au sein de l’OTAN. Il pourrait réparer de graves dommages à Washington. De manière plus précise, nos dirigeants politiques, soutenus par des membres influents du cabinet du premier ministre, ont peut-être pensé qu’il s’agissait d’une solution de rechange acceptable à l’intervention sur le terrain en Iraq, un point de vue qui pourrait en théorie avoir été partagé, bien qu’avec une certaine dose de déception, à Washington. Bref, de façon générale, nos amis – c’est-à-dire ceux qui ont les mêmes dispositions d’esprit que nous – étaient tous en faveur d’une telle intervention et il y allait de notre intérêt de faire cause commune avec des amis qui pensent comme nous. Mais le problème réel, il me semble, était de savoir si la tâche elle-même pouvait être menée à bien – et pour pouvoir formuler quelques commentaires à ce sujet, une analyse globale des conditions sur le terrain aurait semblé nécessaire. Évidemment, nous aurions pu accepter et ensuite faire nôtres les analyses d’autres sources, si nous les avions trouvées convaincantes. Sur des questions aussi complexes, en tout cas, rien n’est jamais certain. Mais l’incertitude est une question de degré. Avons-nous essayé, dans la mesure du possible, d’évaluer à l’avance les dangers? Savions-nous dans quoi nous nous embarquions?

Un laps de temps très long s’est écoulé avant que la réponse ne vienne. Je la paraphrase, mais à peine : « Nous ne pouvions pas procéder à une telle analyse parce que nous n’avions pas l’expertise voulue. Nous disposons d’une certaine expertise aujourd’hui, acquise à la faveur de l’expérience de nos soldats sur le terrain. Mais nous ne l’avions pas à ce moment-là. »

J’en conclus que la marge de manœuvre dont nous pensions au départ pouvoir bénéficier provenait, d’une part, de la conscience que nous avions d’agir de concert avec nos amis et, d’autre part, de notre conviction que nos intentions étaient bonnes et que notre modèle de transformation – notre idée générale – reposait sur des fondements solides. Pris ensemble, tous ces éléments devraient nous suffire, même s’il nous fallait y consacrer plus de temps et d’effort que les Canadiens dans leur ensemble n’étaient conditionnés à envisager. Et pour être juste, une campagne a été lancée pour les reconditionner. Nous avons été avertis à maintes reprises par les ministres et commandants militaires compétents que le coût de l’entreprise en temps, en ressources et en personnel serait probablement élevé. Il me semble que l’on n’a guère senti par ailleurs qu’il aurait fallu mieux connaître et comprendre l’Afghanistan avant d’y mettre les pieds, et que nos forces sont arrivées sur le théâtre d’intervention en ignorant presque tout des seigneurs de la guerre, des clans, du commerce de la drogue et des rivalités d’une complexité effarante et des zones d’influence concurrentes auxquels ils donnent lieu. En fait, nous avons fait irruption dans la boutique de porcelaine, convaincus de ne pas être des éléphants, et donc de ne représenter aucun danger pour la marchandise.

Je me rends compte qu’il en va toujours ainsi dans une certaine mesure. J’ai déjà concédé que l’incertitude est inévitable et que nous devons nous en accommoder. Mais nous avons toujours la possibilité de la réduire un peu en nous préparant correctement. Dans les bureaux où cette décision a été prise, il semble toutefois que l’on ne se soit guère préparé.

Ce n’est pas mon propos ici de soutenir que nous ne pouvons rien faire d’utile nulle part, bien que je comprenne que certains d’entre vous, au terme d’un inventaire aussi sombre, puissent le penser. Mais je crois – et je vous propose cette idée tout doucement – que nous devons, dans la conduite de la politique étrangère, nous méfier des idées générales et des grands desseins et effectuer, avant de passer à l’action, une étude aussi minutieuse que possible des « terribles faits ».

À cet égard, j’ai menacé au début de mon allocution de conclure par une liste tout à fait gratuite de choses à faire et de choses à ne pas faire. Vous pensez peut-être que j’ai déjà abusé de votre patience, mais je suppose néanmoins que je dois tenir parole. Quelques exhortations indicatives suivront par conséquent, sans aucun ordre particulier. Elles sont destinées aux politiciens, bien que non exclusivement. Et ce, parce que les politiciens et les collaborateurs partisans qui les secondent dans les hautes sphères comptent souvent parmi les gens les moins bien renseignés sur les affaires étrangères, bien qu’ils aient la capacité de faire le plus de dommages. Bien entendu, je m’attends à ce qu’ils ne fassent aucun cas de mes exhortations.

Exhortation 1 : Déclasser le modèle global d’ingénierie sociale en tant que cadre d’action. Nous ne pouvons pas le mettre en œuvre et nous ne le ferons pas et, ne le faisant pas, nous désillusionnerons ceux qui, tant au pays qu’à l’étranger, ont été assez naïfs pour penser que nous y adhérons. Considérez-le plutôt comme un outil d’éducation, de conscientisation. Et afin qu’il n’induise personne en erreur, prenez la précaution de formuler quelques réserves en précisant que nous ne pouvons pas espérer le mettre en œuvre intégralement dans le monde réel.

Exhortation 2 : Renforcer nos capacités d’analyse du renseignement d’une manière qui nous permette de faire correctement notre travail avant de nous embarquer dans des interventions à l’étranger qui sont très coûteuses et qui mettent des vies en danger. Nous ne pouvons pas toujours nous engager de façon tout à fait éclairée, mais il faut – dans la mesure du possible – éviter de sauter dans l’inconnu. Même une faible lueur est préférable à l’obscurité totale.

Exhortation 3 : Dans des contextes précis, ne jamais inclure dans la liste des objectifs poursuivis à l’étranger des objectifs que nous savons que nous ne pourrons jamais atteindre. Aussi populaire qu’il soit, celui de la démocratisation d’une communauté politique jusqu’ici non démocratique est probablement un de ceux-là. Nous pouvons parfois aider, mais nous ne pourrons jamais faire tout le travail. Même en essayant uniquement d’aider, nous ne devrions pas intervenir à moins qu’on nous en fasse la demande.

Exhortation 4 : Ne jamais supposer que les autres veulent ce que nous voulons, en particulier lorsque nous savons qu’ils fonctionnent à des niveaux très différents de richesse matérielle et sous l’influence de traditions culturelles, religieuses et autres qui diffèrent fondamentalement des nôtres. Les communautés politiques sont en partie les produits d’imaginations collectives tout autant tournées vers le passé que vers le présent. Leurs façons de se représenter l’histoire, leurs conditions particulières, leurs perspectives sont souvent très différentes des nôtres. Nous devrions garder cela à l’esprit et faire preuve de prudence et de circonspection.

Exhortation 5 : À titre de corollaire des exhortations 3 et 4, il ne faut jamais oublier que les façons de faire de la politique, de mener des activités économiques et d’entretenir les relations familiales et autres relations sociales sont des phénomènes profondément enracinés. Ce ne sont pas des produits qui peuvent être facilement remplacés par des substituts fournis par des étrangers, même à titre de cadeaux. Edmund Burke était peut-être trop conservateur pour certains, mais il avait raison de faire valoir, contre les Français, que les systèmes politiques fonctionnent mieux lorsqu’ils sont issus de la culture locale. Il s’ensuit que le changement pacifique est généralement très lent et que les gens du pays doivent sentir qu’ils ont la main haute sur le processus. Ils n’auront pas ce sentiment si des étrangers essaient de le leur imposer. Dans tous les cas, si les forces de la mondialisation sont aussi puissantes qu’on semble le penser généralement, et si la démocratie est aussi attrayante que nous nous plaisons à l’affirmer, tôt ou tard, elle naîtra d’elle-même.

Exhortation 6 : Dans la même veine, nous devons nous rappeler que tenter de propager notre façon de vivre à l’étranger est une entreprise impériale – et qu’elle n’en est pas moins telle parce que nous prétendons que les principes en sont universels. Il fut une époque, il n’y a pas si longtemps, où les Canadiens de presque tous les milieux – à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement – croyaient que les ambitions de cette nature étaient caractéristiques du comportement des États-Unis en politique étrangère (et peut-être des empires européens d’une époque révolue), mais qu’elles étaient fort heureusement absentes de la diplomatie du Canada, guidée par des appréciations d’une nature plus empathique. Cette perception n’était pas tout à fait exacte, mais elle renfermait une part de vérité et, aux Nations Unies et ailleurs, sa pratique a contribué à l’efficacité de notre service extérieur. Peut-être s’agit-il d’un grain de sagesse dont nous devrions nous rappeler aujourd’hui.

Exhortation 7 : Plus près de chez nous, nos dirigeants politiques, et spécialement les agents politiques manipulateurs qui sont leurs collaborateurs immédiats, devraient éviter de présumer que leur connaissance intime des rouages de la politique canadienne les prépare adéquatement à comprendre les tenants et aboutissants de la politique à l’étranger. Ils ne souhaitent vraisemblablement pas se faire les émules des chroniqueurs politiques qui interviennent dans les émissions-débats sur les affaires publiques aux États-Unis, où ils sont aptes à disséquer les subtilités des manœuvres qui ont cours à Washington, mais où ils ressemblent plus à des adolescents bornés dans une cour d’école lorsqu’ils discutent du comportement des Chinois ou des Nord-Coréens, ou même des Européens que nous connaissons mieux.

En termes concrets, et étant admis que la responsabilité ultime des décisions doit, pour tenir compte correctement des impératifs de la politique intérieure, appartenir aux autorités politiques, celles-ci doivent prêter une oreille très attentive à leurs fonctionnaires avant de décider quoi faire outre-mer et s’assurer que ces fonctionnaires ont fait le travail que les politiciens ne peuvent absolument pas faire eux-mêmes. (J’ouvre ici une petite parenthèse. Je me rappelle, il y a quelques années, avoir interviewé Paul Martin père et avoir écouté les raisons pour lesquelles il croyait que le Cabinet dans son ensemble n’était pas préparé à traiter des affaires étrangères. Conduire les relations extérieures du Canada n’est pas, faisait-il valoir, comme s’occuper de la politique des transports : cela exige une compréhension nuancée des circonstances qui ont cours à l’étranger et que ses collègues ne possédaient pas du tout, et à propos desquelles ils ne pouvaient recevoir de conseils professionnels. La gestion très serrée de son portefeuille l’avait rendu impopulaire au sein de la jeune garde – Pierre Trudeau et Donald Macdonald entre autres – mais il avait raison sur un point : ce n’est pas un travail d’amateur. Maintenant que le pouvoir est de plus en plus concentré au sein du cabinet du premier ministre – un processus qui s’est accéléré dans les affaires étrangères à la faveur de la tendance à la diplomatie de sommet – il se peut que nous devions nous rappeler de nouveau cette mise en garde. Il fut un temps, en fait, où la diplomatie de sommet elle-même était considérée comme une menace, où l’on jugeait qu’il valait mieux la réserver à des occasions cérémonielles, une fois le travail fait par des professionnels. Cela ne nuirait peut-être pas de réfléchir à nouveau sur cette question aussi.)

Exhortation 8 : Quelle que soit l’entreprise d’ingénierie sociale outre-mer dans laquelle nous décidons de nous embarquer, nous devrions nous rappeler qu’il importe d’adapter nos efforts à la valeur des objectifs réels poursuivis. Par exemple, le fait de jouir à l’OTAN d’une certaine crédibilité à la table est un atout diplomatique inestimable et certainement gratifiant pour nos professionnels des Forces armées et du service diplomatique. Mais il s’agit d’un objectif très limité, à ne pas poursuivre à un prix trop élevé. L’idée n’est pas nouvelle. Les analystes des affaires internationales ont toujours compris la règle de proportionnalité. Nous l’avons provisoirement perdue de vue lorsque les deux grandes guerres sont devenues les deux grands cataclysmes du XXe siècle et de nouveau lorsque le défi a semblé être d’ordre civilisationnel dans notre affrontement avec le monde soviétique. Mais l’engagement en Corée nous a rappelé une fois de plus que la plupart des guerres ont une portée limitée et qu’elles sont menées avec des moyens limités, à des fins déterminées. Ce rappel – qui a été renouvelé pour les Américains au Vietnam – est troublant pour les citoyens des sociétés démocratiques qui acceptent en quelque sorte un peu mieux les horreurs de la guerre lorsqu’ils sont convaincus que la cause de leur pays n’est pas seulement juste, mais absolue. Mais si nous devons réduire au minimum le nombre de morts et de blessés, il faut calculer froidement. Il peut s’avérer au bout du compte que sur des questions de cette nature les réalistes traditionnels aient eu raison, et que la morale soit souvent mieux servie par le pragmatisme que par des principes. Il est peut-être bon de rappeler ici le calcul pratique qu’impliquent les préceptes anciens de Sun Tzu :

« S’il n’y a pas avantage, ne pas agir.
Si l’entreprise n’est pas réalisable, ne pas employer les troupes.
S’il n’y a pas danger, ne pas livrer bataille. »

Exhortation 9 : Ne pas être victime des généralisations excessives des sciences sociales. Ces dernières peuvent souvent être éclairantes, et elles remplissent des fonctions que, dans les milieux universitaires, on se plaît à qualifier d’heuristiques, c’est-à-dire qu’elles nous indiquent quoi chercher. Mais elles sont souvent trop abstraites pour aider les décideurs à trancher des problèmes précis. Les observations empiriques constituent un meilleur guide. Les États en déroute et les États fragiles, par exemple, ne sont pas tous pareils. Haïti, le Soudan, l’Iraq, l’Afghanistan et le Rwanda diffèrent considérablement les uns des autres. Le point qu’ils ont (ou plutôt qu’ils avaient) en commun est qu’il s’agissait d’États en déroute ou fragiles – mais pas nécessairement pour les mêmes raisons. D’où le fait qu’ils peuvent nécessiter un traitement très différent, dans la mesure où ils se prêtent à un traitement quelconque.

Exhortation 10 : Quelles que soient vos motivations de politique intérieure, évitez de critiquer vos alliés – ou même vos adversaires – de manière gratuite ou ostentatoire. Si vous ignorez ce conseil, vous devrez plus tard assumer des coûts de réparation élevés et cela pourrait fausser vos priorités et détourner votre attention sur des problèmes qui auraient pu être évités. Même le gouvernement du président Bush – reconnu pour commettre des gaffes – a commencé à tirer cette leçon, bien que trop tard pour ne pas s’être attiré et avoir attiré à d’autres maintes difficultés.

Exhortation 11 : Si, par déférence pour le modèle global d’ingénierie sociale, vous vous engagez réellement dans un programme d’action multidimensionnel, faites-le alors correctement et de manière responsable. Par exemple, il est vain de prétendre qu’un tel programme guide réellement notre comportement si l’ACDI [Agence canadienne de développement international] s’emploie surtout en Afghanistan à remettre de gros chèques au gouvernement de Kaboul alors qu’elle ne donne que des miettes à l’EPR [Équipe provinciale de reconstruction], à Kandahar.

Monsieur le Président, je pourrais poursuivre en faisant d’autres exhortations de cette nature, allongeant d’autant cette liste. Mais je crois que 11 exhortations suffisent amplement à illustrer mon propos.

Je termine donc en exprimant l’espoir que si O.D. Skelton était ici ce soir et connaissait les circonstances que nous vivons actuellement, il pourrait considérer au moins quelques-uns de mes propos comme raisonnablement sages. Il aurait certainement reconnu qu’il ne faut jamais tendre vers l’impossible, que nos prétentions doivent avoir la modestie de nos réalisations. Et il insisterait, j’en suis sûr, pour que nous ayons une politique à la mesure de nos moyens.

Je vous remercie.

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