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Pour les réfugiés, la pandémie représente une urgence supplémentaire

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Lorsque chez-soi est un abri sans électricité dans le camp de réfugiés le plus grand et le plus peuplé du monde, s’adapter à la nouvelle réalité constitue un défi particulier.


Comme beaucoup d’enfants dans le monde, Shefuka fait l’école à la maison, son école étant fermée en raison de la pandémie de COVID-19. Mais lorsque la maison est un abri sans électricité dans le camp de réfugiés le plus grand et le plus peuplé du monde, s’adapter à cette nouvelle réalité constitue un défi particulier.

Shefuka, 9 ans, vit avec sa mère Fatema et ses 3 frères et soeurs dans le camp rohingya de Cox’s Bazar, au Bangladesh. Les centres d’apprentissage du camp ont été fermés en mars pour minimiser le risque d’une éclosion de COVID-19, ce qui prive d’enseignement plus de 300 000 enfants.

Une fille est assise par terre dans un abri et lit un manuel scolaire. Derrière elle se trouve un sac contenant l’inscription <q>« UNICEF »</q> et des vêtements accrochés aux tiges de bois qui forment les murs de l’abri.
La COVID-19 ayant forcé la fermeture des écoles, Shefuka fait de son mieux pour continuer ses apprentissages à la maison, soit un abri sans électricité. Photo : BRAC-2020-Faruq

« Je me sens très triste de ne pas pouvoir continuer mes études comme avant », dit Shefuka. « Je lis des livres, je dessine et je joue aux jeux que nous avons appris dans notre centre d’apprentissage avec mon frère et mes sœurs. Mais je m’ennuie à rester à la maison tout le temps. »

Cette déception est connue de tous les parents. Mais elle souligne la complexité de la crise sanitaire mondiale pour les réfugiés comme les 860 000 Rohingyas de Cox’s Bazar, qui ont fui les atrocités au Myanmar. La mise en œuvre de mesures d’atténuation du virus dans le camp a fait chuter les maigres revenus, freiné la prestation de services humanitaires vitaux et mené à la fermeture de certains « espaces sûrs » pour les femmes et les filles, entraînant une augmentation des taux de violence fondée sur le genre, de prostitution et de mariage d’enfants. Pendant ce temps, les cas de COVID-19 menacent de se multiplier dans ces conditions d’exiguïté.

« Déjà au cœur d’une situation d’urgence, nous sommes maintenant confrontés à une urgence supplémentaire », explique Shairose Mawji, une Canadienne qui est chef des services sur le terrain pour l’UNICEF au Bangladesh et qui est actuellement responsable de Cox’s Bazar.

Shairose Mawji devant le camp de Kutupalong, dans le sud-est du Bangladesh.
Shairose Mawji, une Canadienne travaillant avec l’UNICEF, supervise les programmes du camp de Kutupalong, l’un des plus grands camps de réfugiés au monde, lequel accueille les réfugiés rohingyas dans le sud-est du Bangladesh. Photo : UNICEF Bangladesh/2020/Chowdhury

L’UNICEF, avec le soutien du Canada, a mis en place à Cox’s Bazar des programmes d’apprentissage à domicile pour aider des enfants comme Shefuka et les membres de leur famille. Par exemple, des enseignants rohingyas bénévoles se rendent sur place pour aider les enfants, les parents et les éducateurs à s’adapter à la situation pendant la fermeture des centres d’apprentissage, à l’aide de guides et de cahiers d’exercices illustrés.

Ils donnent également des conseils sur le lavage des mains et les mesures d’hygiène pour prévenir la propagation de la COVID-19. Parmi les autres efforts de communication et d’engagement communautaire au camp, mentionnons la dissémination de messages sur la manière de se protéger du virus. Ces messages sont également diffusés à la radio et à partir de véhicules motorisés tuk-tuk, qui sillonnent les grandes étendues du camp.

« Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sauver des vies », affirme Mme Mawji, une infirmière-sage-femme originaire de Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle précise que les taux de COVID-19 signalés sont faibles dans le camp, mais relativement élevés au Bangladesh, avec 2 500 à 4 000 nouveaux cas par jour dans ce pays de 164 millions d’habitants.

S’adapter à la pandémie

L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés rapporte que les trois quarts des 26 millions de réfugiés dans le monde vivent dans des pays en développement dont les systèmes de santé sont parmi les plus vulnérables de la planète. En outre, 40 millions de personnes déplacées vivent dans des conditions similaires et difficiles.

Par exemple, 5,5 millions de réfugiés syriens, le plus grand groupe de réfugiés au monde, sont aux prises avec les contraintes sociales et économiques imposées par la crise. La Jordanie accueille présentement quelque 1,3 million de Syriens, dont plus de 650 000 réfugiés enregistrés, 80 % d’entre eux vivant en dehors des camps, selon le Comité international de secours (IRC), un partenaire du Canada dans la région.

Bryn Boyce, Canadien occupant le poste de directeur adjoint des programmes du IRC en Jordanie, affirme que l’organisation a adapté sa programmation en fonction de la pandémie. Par exemple, la technologie représente de plus en plus les « yeux et les oreilles de l’organisme sur le terrain », dit-il, ce qui permet au IRC de rester en phase avec l’évolution des besoins et de fournir des services de santé reproductive, de santé primaire et de lutte contre la violence fondée sur le genre, avec le soutien du Canada. La prestation de services à distance au moyen de l’application WhatsApp et d’autres canaux comble une lacune, « mais ce n’est pas la même chose que l’interaction en personne »>/q>, précise-t-il, en particulier lorsqu’il s’agit de répondre à des cas à haut risque.

« Apporter un soutien par téléphone aux survivants de la violence fondée sur le genre, ce n’est pas la même chose que de se rendre à leur domicile », explique M. Boyce, qui travaille en Jordanie depuis 6 ans. Selon lui, l’un des plus grands facteurs de stress de la pandémie pour les personnes marginalisées, comme les réfugiés, est qu’elles ont dû renoncer à la pléiade de petits boulots dont elles ont besoin pour aller de l’avant, voire survivre. Cette pression économique sur les ménages contribue à une hausse de la violence conjugale.

« Nous avons constaté un déclin significatif de la résilience des réfugiés », dit-il. « Les ménages déjà vulnérables le sont encore plus. Ils sont de retour à la case départ, ou pire. »

Dans ce contexte défavorable, « c’est un énorme investissement de la Jordanie et de la communauté internationale qui est perdu – ou mis en péril – alors que la COVID-19 efface les gains qui avaient été réalisés », commente M. Boyce. Le financement des besoins fondamentaux des réfugiés ne suit pas toujours le rythme de la demande. Et si les camps de réfugiés n’ont pas connu d’éclosion lors de la première vague, en date du 16 septembre, des cas ont récemment été confirmés dans le plus grand camp de réfugiés de Jordanie, Zaatari, et dans le plus petit camp d’Azraq. À eux 2, ces camps abritent environ 115 000 personnes.

L’aide du Canada contribue à combler le fossé, soutient M. Boyce, « car personne n’est à l’abri de la COVID-19 tant que tout le monde ne l’est pas ». En effet, les Jordaniens sont confrontés à plusieurs des mêmes incertitudes et restrictions que les Canadiens, mais ils disposent de moins de ressources. « Il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous divisent en regard de cette pandémie », fait-il remarquer.

Des lueurs d’espoir parmi les défis

Illustration d’une femme tenant ses jumeaux dans ses bras.
En Jordanie, les répercussions de la COVID-19 sont nombreuses parmi les réfugiés. Malgré cela, une réfugiée syrienne a accouché de jumeaux avec l’aide du Comité international de secours et du Canada.

« Pour la plupart des réfugiés, la COVID-19 est une complexité supplémentaire dans une situation déjà complexe », dit M. Boyce, en notant qu’il y a néanmoins des lueurs d’espoir parmi les nombreux défis. Une femme enceinte de jumeaux, au neuvième mois de sa grossesse, a bénéficié de l’aide du IRC pour se rendre à un hôpital spécialisé d’Irbid et accoucher en toute sécurité. « C’était un moment décisif », se souvient-il. « C’était une histoire merveilleuse dans une période autrement sombre. »

Les réfugiés eux-mêmes s’organisent pour faire face aux défis de la COVID-19. L’été dernier, le réseau Global Independent Refugee Women Leaders (GIRWL) a organisé une conférence virtuelle axée sur les conséquences et les possibilités liées à la pandémie pour les femmes réfugiées. Cette conférence a été appuyée par le Conseil mondial pour les réfugiés et les migrations, présidé par le Canadien Lloyd Axworthy. Parmi les participants figuraient des femmes réfugiées du monde entier ainsi que l’ancienne secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright; le ministre canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marco Mendicino; et l’ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité, Jacqueline O’Neil.

« Pour amplifier la voix des femmes réfugiées, il faut aller au-delà de l’histoire qu’elles racontent », explique Mme Wazefadost. « Il s’agit de reconnaître leurs compétences et leur expertise par rapport à ce qu’elles vivent réellement. »

Le plus grand problème pour les réfugiés et les demandeurs d’asile, selon les témoignages entendus lors de l’événement, est le manque d’accès à des informations vitales sur la COVID-19, de nombreux services sociaux étant désormais fournis à distance. Par ailleurs, la plupart des enfants réfugiés ne disposent pas de la technologie nécessaire à la scolarisation à distance, et leurs parents souvent ne sont pas outillés pour les guider dans l’utilisation de cette technologie. En outre, l’on s’inquiète de plus en plus des pertes d’emploi, de la hausse de l’itinérance et des problèmes de santé mentale.

Anila Noor, posant devant les portes tournantes d’un bâtiment.
Anila Noor a fui le Pakistan il y a 4 ans et cofondé le réseau Global Independent Refugee Women Leaders (GIRWL), lequel est appuyé par le Canada. Photo : Imani van der Horst

« La violence conjugale augmente également, car l’auto-isolement peut se traduire par un confinement dans un milieu familial qui n’est pas sécuritaire », explique Mme Wazefadost.

« Les femmes réfugiées ont moins de ressources pour composer avec les conséquences économiques du confinement, elles ont moins accès aux services médicaux et gouvernementaux, et n’ont pas la chance de pratiquer la distanciation sociale. Malgré tout, elles continuent à prendre les devants et à montrer leur résilience, ce que nous devrions reconnaître », ajoute du même souffle Mme Noor.

À Cox’s Bazar, le plan d’intervention de 2020 pour lutter contre la COVID-19 prévoit l’octroi d’un montant total de 570 millions de dollars pour, notamment, améliorer les systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement, fournir davantage de nourriture pour lutter contre la malnutrition, et mettre en place des salles d’isolement. D’après Shairose Mawji, quelque 1 500 lits sont disponibles pour traiter les personnes présentant des symptômes légers à graves de la maladie.

Les réfugiés jouent un rôle important

Les Rohingyas eux-mêmes jouent un rôle important dans les efforts de consultation et de communication entourant la pandémie, explique Mme Mawji. Et ils sont formés pour fournir des conseils et des soins à domicile aux patients atteints de la COVID-19, dans l’éventualité où les installations médicales atteignent leur capacité maximale.

Elle souligne que les programmes d’éducation à domicile du camp constituent des exemples notables qui illustrent la façon dont les réfugiés s’adaptent aux contraintes de la COVID-19. Cela donne à Mme Mawji de l’espoir pour l’avenir. Comme de nombreux enseignants dans le monde, dit-elle, ceux de Cox’s Bazar se demandent comment aider les enfants à mieux apprendre malgré la pandémie.

Parmi les solutions possibles, on retrouve l’échelonnement des classes dans les centres d’apprentissage et la recherche de moyens permettant aux enfants de reprendre les cours à distance, malgré l’accès limité à l’électricité et à la technologie, notamment à l’aide de la radio ou de leçons téléchargées sur des tablettes informatiques. « Nous devons enseigner d’une manière différente », dit-elle.

Faire les choses différemment est une leçon majeure de la crise de la COVID-19 pour les personnes vulnérables comme les réfugiés rohingyas, dit Mme Mawji. « Ces personnes ont quitté leur pays et ont tout laissé derrière elles. Leur situation a été désastreuse et continue à être encore plus difficile. La COVID-19 n’est qu’un défi supplémentaire auquel elles sont confrontées. »

Un éventail de problèmes, et d’idées

Phedra Moon Morris, responsable de l’aide canadienne au Bangladesh, affirme que les taux de transmission de la maladie ont été maintenus à un niveau relativement bas parmi les réfugiés rohingyas, « mais il n’y a aucune attente que nous puissions maintenir ce niveau ». Les taux de dépistage sont faibles, et les personnes infectées par le COVID-19 cachent leurs symptômes par crainte d’être marginalisées ou stigmatisées, explique-t-elle. « Ce n’est pas facile pour les réfugiés, car ils ont déjà été très traumatisés après avoir vécu des horreurs inimaginables. »

Parmi les objectifs ambitieux du camp de Cox’s Bazar, on souhaite augmenter le nombre de travailleurs humanitaires sur la ligne de front, qui a été plafonné. Ceux qui continuent à y travailler « sont épuisés et ont un horaire de travail surchargé », et sont donc sujets à l’épuisement et à un risque d’infection plus élevé, explique Mme Morris. Mais ils craignent de ralentir la cadence car ils risquent de ne pas être autorisés à revenir. Le Canada et ses partenaires humanitaires ont demandé un « pont aérien humanitaire » pour acheminer davantage de fournitures et de personnel.

Cet « éventail de problèmes » n’est pas nouveau pour les réfugiés, précise Mme Morris, mais leur vie est nettement plus difficile dans un contexte de pandémie, et les efforts des partenaires humanitaires tels que le Canada sont grandement complexifiés.

« Ces personnes ont fait face à tant de défis dans le passé. Mais si nous mettons des ressources à leur disposition, elles ont les idées pour aller de l’avant », conclut-elle.

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