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Promouvoir l’égalité des genres à l’ère numérique : Des programmes de lutte contre la violence facilitée par la technologie

Lorsque des vidéos d’elle à caractère sexuel ont commencé à circuler sur Internet, Olimpia Coral Melo Cruz s’est sentie dégoûtée, honteuse, puis en colère.

Vivant dans une petite ville du Mexique, cette jeune femme a reçu des commentaires embarrassants lorsque des images privées qu’elle avait partagées avec un ex-petit ami sont devenues virales sur des sites de « vengeance pornographique ». Ces commentaires l’ont isolée. « J’ai cessé d’aller à l’école », se souvient Olimpia, qui a songé à se suicider.

Elle a essayé de porter plainte pour la publication de ces images sans son consentement, mais les lois de son pays ne reconnaissaient pas cet acte comme un crime. Olimpia et d’autres victimes d’abus en ligne ont fondé un groupe de soutien et se sont battues pour obtenir une réforme juridique. Après de nombreuses années, le Mexique a promulgué la « loi Olimpia », qui reconnaît et punit la violence numérique. Cette loi a également fait progresser la politique publique en la matière, ce qui se traduit par des mesures de prévention, de suivi et de sensibilisation.

Une Mexicaine se tient debout, le poing levé en l’air. Derrière elle se trouve une sculpture du symbole de Vénus, avec un poing levé en son centre.

Olimpia Coral Melo Cruz, victime de « vengeance pornographique » qui s’est battue pour faire changer la loi au Mexique, est fondatrice du Front national pour la sororité, un groupe qui s’élève contre la violence sexuelle numérique.

Source : Chumbera Producciones

Aujourd’hui, Olimpia témoigne de son épreuve dans le cadre d’une campagne mondiale baptisée bodyright et axée sur a lutte contre la violence fondée sur l’image et contre d’autres types de « violence basée sur le genre facilitée par la technologie » (VBGFT). Organisée par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) — une agence des Nations Unies responsable des questions de santé sexuelle et reproductive — et soutenue par Affaires mondiales Canada (AMC), cette campagne fait partie d’une mobilisation internationale pour sensibiliser les gens à l’importance de ce type de harcèlement et des abus dont sont victimes les femmes et les filles dans le monde entier, ainsi qu’à la nécessité de lutter contre ces crimes.

« Les répercussions en sont très, très réelles », affirme Alexandra Robinson, conseillère technique pour le FNUAP à l’échelle mondiale en matière de violence basée sur le genre. Bien que ce problème et ses répercussions ne soient pas un phénomène nouveau, dit-elle, l’organisation a commencé à étudier la question de la VBGFT en 2020, au moment même où le monde a connu une forte augmentation de l’interconnexion numérique en raison de la pandémie de COVID‑19.

Une arme technologique à double tranchant

Le FNUAP, qui soutient des programmes de lutte contre la violence basée sur le genre (VBG) dans 153 pays, ainsi que les groupes de défense locaux sur le terrain a constaté que les nouvelles technologies offrent des possibilités de faire progresser l’égalité entre les genres. « Ces technologies aident à élargir l’accès à l’information, aux services et à l’éducation essentiels en matière de santé et à donner une voix et un pouvoir aux groupes marginalisés », explique Alexandra Robinson. Toutefois, elles peuvent également être utilisées contre des personnes pour les harceler, les attaquer et les réduire au silence. Les applications téléphoniques et les plateformes Web utilisées pour rendre accessibles des programmes de lutte contre la VBG dans des régions reculées du monde peuvent être « utilisées comme arme contre les femmes et les filles », explique Alexandra Robinson, ce qui perpétue la discrimination par l’entremise de menaces et d’attaques sexualisées et genrées. « Il s’agit d’un espace qui évolue incroyablement vite. »

Un programme mondial du FNUAP, intitulé « Making All Spaces Safe », vise à « garantir que les femmes et les filles sont en sécurité et peuvent s’épanouir dans tous les espaces qu’elles utilisent et occupent », y compris au moyen de la technologie et dans le cyberespace. L’organisation a lancé une pétition demandant que des mesures soient prises pour mettre fin à la violence et aux abus numériques.

Une étude réalisée en 2021 par l’Economist Intelligence Unit auprès de femmes de 51 pays a révélé que 38 % de celles qui ont accès à Internet ont personnellement subi des violences en ligne, que 63 % connaissent quelqu’un qui en a été victime et que 85 % ont été témoins de violence en ligne perpétrée contre une autre femme.

« Les recherches menées par le FNUAP ont permis de cerner de nombreux types de VBGFT, au-delà de la violence fondée sur l’image », explique Mme Robinson. Il s’agit notamment de divulgation non consensuelle de données personnelles, de cyberharcèlement, de sextorsion, de piratage, d’usurpation d’identité, de recours à la technologie pour localiser des personnes en vue de commettre des abus, et de limitation ou de contrôle de l’accès à la technologie. La VBGFT peut inclure des actes commis au moyen de tout type de technologie, y compris les téléphones, les GPS, les drones et les dispositifs « intelligents ».

Une femme blonde sourit doucement à la caméra.

Alexandra Robinson est la conseillère technique mondiale en matière de violence fondée sur le genre pour le FNUAP, l’agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive.

Source : David Armstrong

« Parmi les aspects néfastes de la VBGFT, citons l’anonymat et l’éloignement des délinquants, et le fait qu’ils peuvent agir en toute impunité, poursuit Mme Robinson. Cette forme de violence est souvent banalisée parce qu’elle est perçue comme moins dangereuse pour les victimes. Toutefois, les images et les propos offensants demeurent pour toujours dans les espaces en ligne et ne seront jamais effacés, laissant les survivants aux prises avec la peur. »

Selon Mme Robinson, les victimes peuvent souffrir de détresse psychologique, et leur santé mentale peut subir des répercussions à long terme. Beaucoup doivent faire face à l’insécurité économique, à des possibilités d’éducation limitées, et à l’exclusion sociale et politique.

La présence publique comporte des risques

Un rapport publié au Royaume‑Uni en 2023 indique que les femmes doutent davantage de leur sécurité en ligne que les hommes et se sentent moins capables de partager leurs opinions sur le Web. Selon Mme Robinson, les femmes qui craignent d’être prises pour cible en ligne limitent souvent leurs interactions numériques ou y renoncent complètement, ce qui peut les empêcher de participer à la vie publique en tant que journalistes, politiciennes, universitaires et défenseures des droits de la personne.

Teenah Jutton, membre de l’Assemblée nationale de Maurice, a fait l’expérience directe des risques technologiques liés au fait d’être une personnalité publique. Après son élection en 2019 en tant que plus jeune membre du parlement de cette nation insulaire située au large de l’Afrique, des images dégradantes manipulées et des vidéos pornographiques d’elle ont circulé en ligne par l’intermédiaire de faux profils.

« J’étais brisée, complètement brisée. Pendant toute une nuit, je n’ai pas fermé l’œil », se souvient Mme Jutton, d’autant que dans sa culture asiatique, « la dignité d’une dame est le bijou le plus précieux ». Mme Jutton a décidé de « transformer cet épisode en un objectif » et a œuvré pour faire changer la loi. « La loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité adoptée à Maurice en octobre 2021 rend punissable par la loi le fait de publier un message sur les médias sociaux avec l’intention malveillante de causer un préjudice », explique-t-elle.

Une Mauricienne se tient sur un podium. Derrière elle se trouvent deux bannières du ministère de la Santé et du Bien-être.

Teenah Jutton est membre de l’Assemblée nationale de l’île Maurice. Elle souhaite que son militantisme ainsi que l’attention mondiale plus large portée au problème de la VBGFT encourageront d’autres jeunes femmes à s’engager politiquement et à lutter contre la VBGFT.

Source : Image gracieusement fournie par Teenah Jutton

Mme Jutton se souvient que sa famille a d’abord essayé de la dissuader de se lancer en politique parce que « la politique est sale ». Elle espère que son militantisme et l’attention mondiale portée à ce problème encourageront d’autres jeunes femmes à suivre son exemple.

« Seules, nous pouvons changer un peu les choses, mais ensemble, nous pouvons déplacer des montagnes », ajoute Mme Jutton. « La liberté débridée que les plateformes numériques offrent à ceux qui sont déterminés à nuire à des personnes innocentes fait en sorte que nous devons constamment mettre en place de nouveaux contrôles de sécurité, continuer à renforcer et à mettre à jour les lois existantes et envisager l’adoption d’une nouvelle législation plus sévère. »

Suzie Dunn, professeure de droit à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie à Halifax, dont les recherches portent notamment sur la VBGFT, note que de nombreuses femmes remettent en question l’idée d’assumer un rôle dans la sphère publique, car elles veulent éviter le harcèlement sexuel.

« Les femmes perdent leur voix, explique-t-elle. Dans le pire des cas, elles ne veulent tout simplement pas de présence publique sur Internet. »

Mme Dunn note que la question de la VBGFT est particulièrement importante dans les pays à revenu faible ou moyen, étant donné que la téléphonie cellulaire y a été adoptée de façon précoce et rapide.

« Pouvoir accéder à l’information et communiquer avec les gens a été un cadeau du ciel à bien des égards. Cependant, une fois que la technologie est adoptée, elle augmente aussi les formes et le degré de violence que les gens peuvent subir, dit-elle. Lorsque vous disposez de la technologie, ça signifie que les gens peuvent communiquer avec vous 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et qu’ils peuvent donc vous traquer et vous harceler à longueur de journée. Et ceux qui diffusent des messages misogynes  sont suivis par un plus vaste public ».

Comprendre la portée mondiale de la VBGFT

Mme Dunn est l’auteure principale du rapport d’un projet de recherche qui devrait être publié en avril par le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI), un groupe de réflexion de Waterloo, en Ontario. Il s’agit d’une enquête mondiale sur la VBGFT menée dans 18 pays, enquête que le CIGI a lancée au début de 2020 avec le soutien du Centre de recherches pour le développement international et d’AMC. En 2022, plus de 15 pays se sont ajoutés à ceux qui étaient déjà visés par le projet.

Selon Mme Dunn, le rapport de la première série de recherches a pour but de contextualiser la question de la VBGFT, de montrer ce que les gens en pensent à l’échelle internationale et de fournir des données utiles aux décideurs politiques et aux défenseurs de cette cause, pays par pays. Le rapport établit 13 types de dommages facilités par la technologie et leurs répercussions sur les femmes, les personnes marginalisées et les personnes LGBTQ2+, en particulier dans des pays du Sud. Il contient également des recommandations aux gouvernements, aux entreprises technologiques, aux organisations de la société civile et aux universitaires quant à la façon d’aborder cette question.

L’essentiel est d’utiliser « une approche féministe, fondée sur les droits de la personne, axée sur l’équité, tenant compte des traumatismes, centrée sur les survivants et intersectionnelle », explique Mme Dunn. On craint, par exemple, que des tactiques de surveillance préjudiciables soient utilisées « sous couvert de protéger les femmes et les enfants », explique-t-elle.

Une femme aux cheveux bruns mi-longs et portant des lunettes sourit à la caméra.

Suzie Dunn, professeure de droit à la Schulich School of Law de l’Université Dalhousie, affirme que « les femmes perdent leur voix » en ligne à cause du harcèlement sexuel.

Source : Université Dalhousie

Selon Mme Dunn, le deuxième cycle de recherche a débuté et pourrait permettre des collaborations, le développement de formations et des contributions d’experts sur le terrain, afin que puissent être explorés des enjeux propres à chaque pays étudié.

Elle affirme que « le Canada a été, à bien des égards, un chef de file dans ce domaine » en investissant dans ce type de recherches, en se joignant aux efforts internationaux et en adoptant des lois relatives aux méfaits de l’Internet à l’échelle nationale. « Nos initiatives montrent que nous prenons cette question au sérieux. »

Pensons notamment au travail du Laboratoire d’inclusion numérique d’Affaires mondiales Canada, qui se concentre sur l’intersection de la technologie et de la politique étrangère, comme le souligne Mme Dunn. Le Canada a également élaboré des documents « normatifs » et entrepris des initiatives visant à promouvoir la participation civique et la sécurité en ligne. Il s’agit notamment d’un Manuel d’instructions pour l’égalité entre les sexes à l’ère numérique qui définit les pratiques exemplaires visant à soutenir l’égalité entre les genres dans les contextes numériques, et des Lignes directrices du Canada pour le soutien des défenseurs des droits de la personne qui favorisent un environnement en ligne propice à la participation civique.

Le Canada, qui a assumé en 2022 la présidence de la Freedom Online Coalition [coalition pour la liberté en ligne], s’est engagé à collaborer avec ses partenaires pour lutter contre la violence en ligne fondée sur le genre, au moyen d’activités de recherche et de sensibilisation. Toujours en 2022, le Canada s’est joint au Partenariat mondial pour l’action contre le harcèlement et les abus en ligne fondés sur le genre (site en anglais), une coalition qui vise à prioriser, à comprendre, à prévenir et à contrer la VBGFT.

Un groupe de filles mexicaines, toutes portant des tee-shirts assortis et des mouchoirs violets sur le visage ou autour du cou. Bon nombre d’entre elles ont le poing levé.

Un groupe se rassemble devant la Chambre des représentants du Mexique, le 29 avril 2021, pour marquer l’adoption de la « loi Olimpia », qui fait de la prise et de la distribution d’images à contenu intime et sexuel sans le consentement de la personne concernée un crime.

Source : Chumbera Producciones

« Bien sûr, comme tous les autres pays, nous avons encore beaucoup de travail devant nous, indique Mme Dunn, d’autant plus qu’il s’agit d’une nouvelle question au sujet de laquelle nous avons encore beaucoup à apprendre ». L’évolution de la technologie est inquiétante, selon elle. Par exemple, les nouveaux systèmes de sécurité à domicile et les dispositifs de l’Internet des objets, tels que les systèmes de chauffage à distance et les sonnettes de porte avec caméra, peuvent être contrôlés ou utilisés à des fins d’espionnage par des partenaires abusifs.

Cependant, ces technologies ne sont à la base « qu’une plateforme pour la misogynie qui existe déjà », commente-t-elle. « Ce que nous devons faire principalement, c’est d’éduquer les gens pour qu’ils adoptent des comportements sains et qu’ils évitent la misogynie ».

Sensibiliser, trouver des solutions

Certaines solutions technologiques intéressantes ont vu le jour, note Mme Dunn, comme les applications de rencontre qui brouillent les images de nudité. Il existe des fonctions de blocage et des paramètres de confidentialité sur les médias sociaux, mais « les personnes abusives trouveront des moyens de les contourner », ajoute-t-elle.

Alexandra Robinson affirme que la sensibilisation est un élément essentiel d’initiatives telles que la campagne bodyright du FNUAP. Elle note qu’une meilleure visibilité de la VBGFT permettrait aux survivants de parler de leurs expériences et pourrait pousser les gouvernements à investir davantage pour renforcer les capacités des prestataires de services de première ligne. Par exemple, les travailleurs sociaux chargés des cas de violence familiale pourraient être formés pour repérer les logiciels espions sur les téléphones des victimes d’abus ou les dispositifs de localisation dans leurs effets personnels.

Elle signale que le FNUAP lance un guide sur la conception et l’utilisation sûres et éthiques de la technologie pour intervenir en matière de violence fondée sur le genre et de pratiques néfastes. Il s’agit notamment d’intégrer la modélisation des menaces, de manière à garantir la sécurité et la confidentialité « dès le stade de la conception » et de placer les femmes et les préoccupations qui leur sont propres au cœur du processus de développement, explique-t-elle. « Nous espérons pouvoir influencer les normes industrielles à cet égard. »

Olimpia Coral Melo Cruz demande aux gouvernements et aux entreprises technologiques d’étendre leur champ d’action au-delà des cybercrimes qui entraînent des pertes économiques et de viser aussi les crimes qui « portent atteinte à l’intégrité et à la vie privée des personnes ».

Elle affirme qu’en se défendant contre les abus en ligne dont elle a été victime, elle a réussi à apaiser ses craintes d’exposer son nom, son corps et sa vie, ainsi que sa peur de naviguer sur le Web.

« Nous avons le droit d’être en sécurité dans les espaces numériques, et de construire un Internet qui protège avant tout notre sécurité et respecte nos droits fondamentaux », ajoute Mme Melo Cruz. « Même s’il est impossible de le voir ou de le toucher, le monde virtuel est bien réel. »

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